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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/36

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revenir qu’il n’eut découvert et puni les auteurs de son infortune.

— Je savais quelque chose de cette déplorable histoire. Jamais père ne subit une plus rude épreuve. Il n’est pas revenu !

— Non, monsieur ; il n’est pas revenu et je n’en ai reçu aucune nouvelle certaine. Mais avant de partir, il m’a fait faire une promesse dont je vais vous faire part, si vous voulez m’attendre ici une minute.

En disant cela, cette femme sortit du cabinet et revint bientôt après, tenant à la main un écrin qu’elle ouvrit :

— Voici, poursuivit-elle en prenant un des joyaux qu’il contenait et le montrant à son interlocuteur ; voici un anneau d’or qu’il m’a remis en me disant : « Promettez-moi solennellement de ne jamais vous déposséder de cet anneau. Vous le reconnaissez, c’est celui que vous avez dû voir chaque jour au doigt de mon épouse chérie ; c’était, hélas ! notre alliance. Ce gage sacré sera plus en sûreté dans vos mains qu’au milieu des périls que je vais affronter. S’il plaît à Dieu de me conserver la vie, si jamais vous nous revoyez, moi ou mes enfants, vous nous le remettrez ; si le contraire arrive, personne n’est plus digne d’en hériter que vous qui nous avez si bien servis. » — Je promis. Il me donna ensuite une bourse pleine d’or et disparut. Voilà, monsieur, tout ce que je sais sur le compte d’une famille que j’ai aimée comme la mienne. Jugez combien j’ai dû être surprise en voyant le nom de Claude Bronsy sur l’enveloppe que vous tenez maintenant dans votre main.

— Et qui est évidemment celle d’une lettre qui a dû lui être adressée depuis peu de temps, car ce papier est encore frais comme s’il sortait de chez le libraire, ou plutôt des mains de la demoiselle qui correspond avec le courtois lieutenant ; car il faut que je vous dise, continua M. Boldéro en souriant, que tout à l’heure, pendant que vous étiez allée chercher votre anneau, j’en ai trouvé un autre dans l’enveloppe qu’en sortant vous avez laissée devant moi sur ce bureau et que je me suis avisé de prendre, je ne sais trop pourquoi, si ce n’est pour en examiner l’écriture qui me semblait belle. Eh bien ! en retournant ce papier sous mes doigts voici l’anneau qui en est sorti.

M. Boldéro venait de trouver l’anneau de Blanche et le montrait complaisamment à la femme du concierge.

— Deux anneaux ! s’écria celle-ci. Ô puissent-ils appartenir tous les deux à monsieur le lieutenant !

— Pour celui que vous venez de me montrer, je ne puis pas encore l’affirmer ; mais pour celui que je viens de trouver dans l’enveloppe, il ne peut pas, je pense, appartenir à d’autre qu’à lui. Je crois même reconnaître les initiales ainsi que les cheveux sur le tissu desquels elles brillent à côté du diamant qui semble les illuminer de ses éclairs. Un gage d’amour, sans doute. Mais, à présent que j’y pense, comment se trouve-t-il ici avec cette enveloppe t

— Je l’ignore, monsieur ; seulement, j’ai su que ce matin monsieur le commissaire avait donné ordre à mon mari d’introduire un officier de milice dans ce cabinet et qu’il y est resté jusqu’au départ des troupes.

— C’est donc lui qui l’aura oublié ici. Quelle singulière coïncidence cependant que la rencontre de ces deux anneaux dans vos mains ! Cela me paraît de bon augure.

— Ah ! monsieur, quel bonheur vous me faites entrevoir ! mais, je vous l’avoue, mon cœur n’ose pas s’y livrer ; la déception serait si cruelle !

M. Boldéro remit ensuite l’anneau de Blanche dans l’enveloppe d’où il était tombé, fit promettre à la femme du concierge de le garder soigneusement avec celui qu’elle avait déjà et sortit en lui disant qu’il aurait le plaisir de la revoir bientôt.

VII

La danse des guerriers était près de s’achever. Les belles promeneuses accompagnées de leurs cavaliers, commençaient à se retirer de la plaine, où la foule cependant continuait de faire entendre de joyeuses acclamations, résolue à ne pas quitter le spectacle qu’elle n’en eut vu la fin. Depuis près d’une heure, M. Aubert avait cédé sa place sur l’estrade à M. Boldéro, son collègue, et s’était aussitôt dirigé vers l’intérieur de la ville pour ne plus s’occuper que des soins réclamés par le voyage qu’il allait faire. Bronsy, que le sentiment du devoir seul retenait