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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/37

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à son poste, avait à peine donné quelque attention à la scène qui se passait sous ses yeux. Il n’en surveillait les mouvements que pour mieux s’assurer qu’elle approchait de son terme.

L’apparition de M. Boldéro sur l’estrade et le départ de M. Aubert firent renaître dans la pensée du lieutenant tout ce qu’il leur avait entendu dire dans la maison du gouverneur et, persuadé que le père de Blanche se disposait à quitter la ville immédiatement, il éprouva de nouveau le regret de le voir s’éloigner sans pouvoir obtenir les éclaircissements qu’il avait le droit d’en exiger. Ce silence, que dans son ignorance du véritable état des choses, il prenait pour un mutisme étudié, était pour Bronsy une énigme où sa pensée s’effrayait de n’apercevoir qu’un affront immérité. Malgré toute son estime pour M. Aubert, qu’il savait homme d’honneur, il ne pouvait se dissimuler que sa conduite dans la circonstance actuelle était une violation flagrante de l’engagement solennel qu’ils avaient pris ensemble. Partant de ce point, il en venait à conclure que ce qui paraissait n’être que différé ressemblait beaucoup trop à un acheminement vers une rupture. Et dans cette hypothèse qui ne faisait que le livrer davantage aux tourments de l’inquiétude, il avait beau chercher à deviner quels pouvaient être les motifs auxquels dut se rapporter le résultat ainsi posé, il n’en pouvait découvrir aucun si ce n’est le fait de la grande infériorité de sa fortune relativement à celle promise à Blanche ; mais dans ce motif même, il ne voyait rien de plausible, attendu que l’état de ses richesses, si exiguës qu’elles fussent, était parfaitement connu de M. Aubert quand ce dernier lui avait promis la main de sa fille unique. Il lui répugnait, au reste, d’attribuer à celui-ci, millionnaire comme il était, un sentiment que lui, Bronsy, s’il se fut trouvé à sa place, n’eut pas manqué de répudier. Toutes ses réflexions aboutissaient donc à la perplexité, mais non pas au désespoir, auquel son âme fortement trempée semblait inaccessible, armée qu’elle était, d’ailleurs, des espérances que lui donnait la lettre de Blanche. « Ma mère, lui disait-elle, vous permet d’espérer. Espérer ! mon cœur me l’ordonne. Dieu le commande. » Il se redisait souvent ces paroles avec ivresse et se réjouissait en voyant approcher l’heure où il pourrait aller les répéter à celle qui l’autorisait à y croire. Il espérait enfin que de retour chez-lui, M. Aubert n’en partirait pas pour son expédition, sans daigner faire connaître ses intentions à sa famille. Pour lui, Bronsy, il était plus que jamais déterminé de ne pas s’y présenter sans avoir au moins fait toutes les perquisitions nécessaires pour retrouver l’anneau de Blanche ; aussi voyait-il avec joie que le reste du jour allait suffire amplement à l’exécution de cette tâche.

Ce fut au milieu de ces réflexions que le surprit enfin l’ordre qu’il désirait tant recevoir, celui de rejoindre son bataillon. Le spectacle était fini. Il s’était même terminé plus tôt que Bronsy n’avait dû s’y attendre ; car la distribution des présents n’avait pas eu lieu, elle était remise au jour suivant, ainsi que notre milicien ne tarda pas à l’apprendre, avec quel plaisir se conçoit facilement.

Bientôt après, les habitants de la ville quittaient la plaine et rentraient dans leurs paisibles demeures avec la même gaîté et le même ordre qu’ils en étaient sortis, tous se promettant bien de retourner au spectacle le lendemain.

Dès que Bronsy, dégagé des soins qu’avait exigés le service du jour, se vit libre de sa personne, il courut à l’hôtel du gouvernement, où M. le commissaire, qui venait lui-même d’y rentrer, le reçut avec toute la cordialité qu’il lui avait témoignée le matin à leur première entrevue. Introduit de nouveau dans le cabinet d’où le départ des troupes ne lui avait pas laissé le temps d’emporter l’enveloppe qu’il venait y chercher et à laquelle assurément il n’eut plus pensé sans le gage précieux qu’elle devait contenir, quel ne fut pas son désappointement de ne la trouver nulle part ! Pourtant, il était bien sûr de l’avoir laissée sur le bureau près duquel il s’était assis. Abaissant ensuite ses regards sur le parquet, il chercha longtemps l’anneau, en cas qu’il y fut tombé comme il se l’était d’abord imaginé ; mais toutes ses recherches, on le pense bien, furent inutiles, L’anneau avait disparu avec l’enveloppe. Surpris de ne pas trouver au moins celle-ci et cruellement contrarié dans son attente, il