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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/7

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— Puisse-t-il placer un bouton d’or dans sa couronne de lauriers !

Le jeune milicien, averti dès les premiers mots sur les conséquences de son étrange distraction, s’en était remis bien vite ; il essuyait le feu roulant de ses agresseurs avec un courage admirable, sans toutefois leur riposter, de peur sans doute de rendre leurs attaques plus vives encore ; ce qui ne les empêcha pourtant point de revenir à la charge. Lui cependant ne perdit point contenance et persista dans son excellent système de défense jusqu’au bout. Malgré le sourire et la charmante humeur avec lesquels il accueillait toutes leurs épigrammes, il devenait pourtant, sur la fin, évident qu’il n’aurait pas été fâché de quitter le champ de bataille, surtout depuis qu’il avait vu disparaître du promenoir un groupe de dames où se trouvait l’objet tant admiré ; car on a déjà deviné que ce n’était pas les beautés végétales du jardin, mais une autre beauté, que nous ferons mieux connaître tout à l’heure, qui avait captivé l’attention du jeune lieutenant. C’était donc pour l’amour de celle-ci qu’il endurait depuis une demi-heure tous les tourments de sa situation. Pour y mettre fin, il crut pouvoir intéresser ses spirituels mais cruels amis et détourner leur attention, trop concentrée sur lui, en leur faisant observer que l’heure du départ devait être arrivée, et il leur exprimait sa surprise de ce que l’ordre n’en eut pas encore été donné, lorsqu’ils virent un jeune homme en livrée, qui venait de fendre la foule, les aborder, tenant à la main une lettre qu’il venait de tirer de ses poches et qu’il leur présenta en leur disant : « C’est pour monsieur le lieutenant Claude Bronsy. » C’était le nom de notre jeune milicien, de celui-là même qui désirait si ardemment pouvoir échapper aux amicales boutades de ses camarades, ne fut-ce que pour mieux se livrer à la jouissance de ses douces inspirations. Il s’empressa de prendre la lettre des mains du laquais dont la venue était si opportune et s’éloigna rapidement en se dirigeant vers l’hôtel où il entra, se félicitant intérieurement que le hasard l’eût si bien servi.

Il rencontra dans l’antichambre le commissaire aux soins duquel la maison avait été confiée par le gouverneur, parti de Montréal depuis quelques jours pour aller rejoindre le gouverneur-général qui l’avait mandé près de lui. Le commissaire crut que ce jeune officier venait s’enquérir de l’ordre qu’on attendait pour mettre les troupes en marche ; il lui dit : « Lieutenant, je comprends bien qu’on ait hâte de partir ; voilà près d’une heure que vos troupes attendent, mais j’attends moi-même l’ordre que vous venez chercher. D’ailleurs, votre colonel sait bien que je dois le lui transmettre. »

— Pardon, monsieur, dit le lieutenant Bronsy s’inclinant profondément afin de mieux voiler l’embarras que lui causait le reproche du commissaire ; je ne suis pas venu pour cela. Je viens de recevoir une lettre que je soupçonne devoir être de quelque importance, puisqu’on n’a pas cru convenable d’attendre un peu pour me la remettre, et c’est tout simplement pour la lire sans témoins que je suis entré.

— En ce cas, reprit le commissaire, je loue fort votre discrétion. Ici, vous pourrez lire votre lettre en toute liberté et y répondre même si vous le désirez. Cependant, si vous voulez répondre d’ici, je vous préviens qu’il faudra que votre plume soit bien rapide et que vous n’en ayez pas long à dire, car l’ordre ne peut pas tarder longtemps.

— Seulement suis-je bien sûr que vous voudrez m’en prévenir ?

— Soyez tranquille sur ce point, dit le commissaire avec bienveillance et comme s’il se fut repenti de sa méprise ; vous porterez l’ordre vous même au colonel.

Le lieutenant fit ses remercîmens et le commissaire ordonna aux gens de service de l’introduire dans un cabinet qui se trouvait en arrière, au fond d’un corridor qui conduisait à une grande salle où se faisaient les réunions du Conseil, et qui, ce jour là et les jours précédents, avait servi de local aux assemblées de la célèbre « Compagnie des négociants et habitants du Canada pour le commerce des castors. » Introduit dans le cabinet qui lui était indiqué, Claude Bronsy se jeta dans un fauteuil et cessa bientôt, par l’intérêt qu’il prit à la lecture de la lettre qu’il venait de recevoir, de s’étonner que l’envoi n’en eût pas été fait un peu plus tôt ou un peu plus tard, tout en remerciant son étoile qu’il l’eut été précisément au moment où il avait eu lieu.

Ce message venait d’une personne qui lui était bien connue et bien chère, ce que toute-