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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/8

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fois il ne put deviner par la suscription dont l’écriture différait de celle de l’intérieur ; mais dès qu’il l’eut ouvert, une exclamation soudaine, partie de son cœur vivement épris, proclama le nom de l’aimable signataire avant même que son avide regard l’eut rencontré au bas de la première page où il était inscrit presque en toutes lettres. Puis, comme s’il se fut repenti d’avoir prononcé ce nom à haute voix, il se dit à lui même aussitôt :

« Imprudent ! j’ai parlé haut. »

Il jetait en même temps un coup d’œil autour de lui, comme pour s’assurer qu’il était bien seul ; mais n’apercevant de têtes que celles des portraits qui ornaient le cabinet : « Ces témoins-ci seront muets… comme la tombe où ils reposent, » se dit-il en fixant deux belles peintures qui étaient en face de lui.

C’étaient les portraits des illustres fondateurs de Québec et de Montréal, Champlain et de Maisonneuve.

«  Mais quelle crainte frivole s’empare de moi ! » reprit-il résolument ; « le seul homme qui eût le pouvoir de s’opposer à mon bonheur, n’y consent-il pas maintenant ? »

Et il se mit à répéter le nom qu’il avait prononcé d’abord avec tant d’effusion, se disant cette fois avec le plus ardent enthousiasme :

« Oui, je le dis haut ce nom que j’honore et que j’aime ; grâce au ciel, l’ange qui le porte est à moi maintenant. »

Il déploya donc la lettre et y lut ce qui suit :

« Monsieur, — Je me hâte de vous prévenir qu’il se trame quelque projet contre nous : je le crains du moins. M. — que mon père honore de sa confiance, comme vous savez, l’est venu voir ce matin ; ils ont eu une longue et secrète conférence ensemble, à la suite de laquelle ils sont sortis, ainsi que je viens de l’apprendre, pour se rendre à l’assemblée de la Compagnie dont ils sont membres.

« Ma mère et moi, nous sommes allées au promenoir, d’où je vous ai vu, Claude.

« À notre retour et dans le moment où ma pensée, toute entière à vous, s’abandonne aux plus douces espérances, une note déposée sur ma table m’apprend que mon père pourrait changer de dispositions à votre égard. Il ne me dit pas positivement qu’il renonce à votre alliance, mais il veut que vous sachiez qu’il entend au moins différer le jour, déjà fixé de son consentement, où ma destinée sera pour toujours unie à la vôtre. Il insiste sur ce point. Dieu veuille que ce ne soit point là le prélude d’un grand malheur ! Quoi qu’il arrive, un traitement aussi cruel ne pourrait venir de mon père. Il m’a déjà donné, à moi, qui ne cesserai jamais de le chérir et de le révérer, trop de preuves de sa sollicitude paternelle pour qu’elle puisse me faire défaut quand elle est garantie par la sanction qu’il accorde à vos vœux. Ainsi, tout n’est peut-être pas perdu. Maman, qui m’autorise également à vous écrire ces lignes, nous dit d’espérer. Espérer ! mon cœur me le commande. Dieu le permet. Ne suis-je pas votre fiancée ?

« Blanche Aubert. »

Quand il eut fini de lire cet écrit, qui le faisait passer tout à coup de la joie à la douleur, Bronsy eut besoin de tout son courage pour résister au violent désir qu’il eut de voler aussitôt auprès de sa fiancée ; le devoir le contraignit de rester où il était. En proie à la plus vive anxiété, il cherchait à s’expliquer la cause de ce qui lui paraissait un changement dans les dispositions de son futur beau-père.

Il ne s’aperçut pas que le papier qu’il tenait entre ses doigts venait de tomber.

La feuille déployée couvrait de tout son format un coin du tapis où reposaient les pieds du jeune lieutenant et sur lequel en tombant elle s’était retournée de manière à présenter à son regard un ajouté de quelques lignes contenues à la deuxième page et dont il n’avait pas dû soupçonner l’existence, parce qu’à la première tout lui indiquait que la lettre y était terminée. Tel n’était point le cas cependant, comme on vient de le voir.

Dans ce post-scriptum, Blanche Aubert faisait savoir à son fiancé qu’elle lui envoyait le gage qu’il lui avait fait promettre de lui donner en retour de celui qu’il lui avait donné lui-même.

Ce gage confié au pli de la correspondance qu’on a vue plus haut, c’était un anneau de cheveux artistement entrelacés autour d’un fil d’argent, dont les deux bouts, ramenés à la surface supérieure, y décrivaient deux jolies petites lettres, rendues plus brillantes par l’éclat d’un rubis placé au milieu et dans les