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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/9

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rayons duquel l’œil, un moment ébloui, saisissait bien vite l’image de deux cœurs étroitement unis. Ces cheveux étaient ceux de la bien-aimée de Claude Bronsy, ces lettres étaient leurs initiales.

Tout à coup, un bruit, parti de la salle voisine, vint frapper l’oreille du jeune milicien et l’arracher à sa rêverie. Ce bruit était celui de deux voix d’hommes qui se renvoyaient la parole sur le ton de l’amitié et d’une cordiale entente ; ils semblaient venir du côté du cabinet. Claude s’empressa de ramasser la lettre qui gisait à ses pieds, et se disposait à la replier lorsqu’il aperçut le post-scriptum qu’elle contenait ; mais avant qu’il eût le temps de le lire, les voix qu’il venait d’entendre s’étaient déjà tellement rapprochées de lui qu’il put reconnaître les interlocuteurs et comprendre tout ce qu’ils se disaient. La porte de la grande salle s’était ouverte et ceux-ci, d’un pas assez rapide, s’étaient avancés, toujours en causant, jusqu’à la porte du cabinet. Bronsy, qui avait eu le soin de la fermer pour mieux se mettre à l’abri des interruptions et des regards indiscrets de ceux qui pouvaient passer dans le couloir, ne put refuser son attention à l’entretien des deux personnages qu’il reconnaissait, et dont l’un du moins lui était parfaitement connu, parce qu’il comprit qu’il pouvait, pour son compte et celui de la famille dont il sollicitait l’alliance, se trouver intéressé dans les engagemens que prenait vis-à-vis de l’autre celui des deux causeurs qu’il connaissait si bien, puisque celui-ci n’était autre que le père de Blanche Aubert.

Claude Bronsy ne commettait donc aucune indiscrétion en écoutant une conversation où l’on allait peut-être décider de son sort et dont on le rendait, d’ailleurs, témoin malgré lui. Aussi s’empressa-t-il d’y prêter une oreille attentive et de se rapprocher tout doucement, pour n’en rien perdre, de la porte où les deux personnages s’étaient arrêtés. Mais leur entretien, commencé dans la salle des assemblées, tirait à sa fin, et Claude ne put en conséquence en recueillir qu’un fragment.

— Maintenant, disait l’un des interlocuteurs, tout est convenu ; vous connaissez tous les détails de cette entreprise, il ne s’agit plus que d’en tirer le meilleur parti possible, et pour cela vous voyez que vous n’avez pas de temps à perdre. Je serais au désespoir qu’on pût nous enlever cette proie.

— Oui, répondit le père de Blanche Aubert, je crois que ce sera une bonne affaire, et nous serions bien fous de ne pas en profiter.

— Comment, une bonne affaire ! une rafle de deux cent mille francs, au moins, mon cher, en bénéfices clairs et nets.

— Que nous partagerons loyalement.

— Sans doute. Nos concurrents en crèveront de dépit.

— Et nos bons amis de la compagnie n’en mourront pas de plaisir ; mais tout de même, l’affaire n’en est pas moins honnête, honorable.

— Parfaitement honorable, autrement je ne vous l’aurais pas proposée. Ainsi, n’oubliez pas, ce soir, à la Pointe à Callières.

— C’est convenu, mais vous même n’oubliez pas l’écrit qu’il me faut.

— Tout sera prêt, mon cher Aubert, ne craignez rien ; vous serez à peine rendu sur la plaine que l’écrit sera fait en bonne forme. Que je regrette de ne pouvoir vous accompagner dans cette expédition ! mais il faut que je reste, comme vous savez, pour veiller à nos intérêts auprès de la compagnie et lui présenter mon rapport. Nos sauvages sont ici pour quelques jours encore, et d’ailleurs…

— Suffit, je comprends ; ainsi donc, ce soir, à la Pointe à Callières.

— Oui, à la Pointe à Callières.

Cela dit de part et d’autre, les deux amis se séparèrent ; l’un regagna la salle d’où ils étaient venus, l’autre se dirigea vers la porte de sortie.

Bronsy, ne sachant précisément que penser de ce qu’il venait d’entendre, à demi fâché de ce qu’il n’eût surpris aucune révélation qui lui parût avoir quelque rapport avec la lettre de la fille de celui qui sortait, éprouva le plus violent désir de courir après lui pour lui en demander l’explication ; un désir plus impérieux, cependant, le retint ; le post-scriptum pouvait tout expliquer, pensa-t-il, ou du moins modifier la situation considérablement ; il fallait donc le lire avant tout. Mais cela, malheureusement, lui fut impossible ; car à l’instant même où son regard se fixait sur les premiers mots, une bruyante explosion se fit entendre dans la rue en face de l’hôtel ; c’était le bruit des tambours qui annonçait au