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Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/107

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DES ALIMENTS.

encore, je soupai un jour chez moi en trio avec mon mari et un de mes amis. Verseuil (c’était le nom de cet ami) était beau garçon, ne manquait pas d’esprit, et venait souvent chez moi ; mais il ne m’avait jamais rien dit qui pût le faire regarder comme mon amant ; et s’il me faisait la cour, c’était d’une manière si enveloppée qu’il n’y a qu’une sotte qui eût pu s’en fâcher. Il paraissait, ce jour-là, destiné à me tenir compagnie pendant le reste de la soirée, car mon mari avait un rendez-vous d’affaires, et devait nous quitter bientôt. Notre souper, assez léger d’ailleurs, avait cependant pour base une superbe volaille truffée. Le subdélégué de Périgueux nous l’avait envoyée. En ce temps, c’était un cadeau ; et d’après son origine, vous pensez bien que c’était une perfection. Les truffes surtout étaient délicieuses, et vous savez que je les aime beaucoup : cependant je me contins ; je ne bus aussi qu’un seul verre de champagne ; j’avais je ne sais quel pressentiment de femme que la soirée ne se passerait pas sans quelque événement. Bientôt mon mari partit et me laissa seule avec Verseuil, qu’il regardait comme tout à fait sans conséquence. La conversation roula d’abord sur des sujets indifférents ; mais elle ne tarda pas à prendre une tournure plus serrée et plus intéressante. Verseuil fut successivement flatteur, expansif, affectueux, caressant, et voyant que je ne faisais que plaisanter de tant de belles choses, il devint si pressant que je ne pus plus me tromper sur ses prétentions. Alors je me réveillai comme d’un songe, et me défendis avec d’autant plus de franchise que mon cœur ne me disait rien pour lui. Il persistait avec une action qui pouvait devenir tout à fait offensante ; j’eus beaucoup de peine à le ramener ; et j’avoue à ma honte que je n’y parvins que parce que j’eus l’art de