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méditation VI

4° Enfin, sur la conduite journalière de ces docteurs de la loi qui, toutes choses égales, consomment plus de truffes qu’aucune autre classe de citoyens : témoin, entre autres, le docteur Malouet, qui en absorbait des quantités à indigérer un éléphant, et qui n’en a pas moins vécu jusqu’à quatre-vingt-six ans.

Ainsi on peut regarder comme certain que la truffe est un aliment aussi sain qu’agréable, et qui, pris avec modération, passe comme une lettre à la poste.

Ce n’est pas qu’on ne puisse être indisposé à la suite d’un grand repas où, entre autres choses, on aurait mangé des truffes ; mais ces accidents n’arrivent qu’à ceux qui s’étant déjà, au premier service, bourrés comme des canons, se crèvent encore au second, pour ne pas laisser passer intactes les bonnes choses qui leur sont offertes.

Alors ce n’est point la faute des truffes ; et on peut assurer qu’ils seraient encore plus malades, si, au lieu de truffes, ils avaient, en pareille circonstance, avalé la même quantité de pommes de terre.

Finissons par un fait qui montre combien il est facile de se tromper quand on n’observe pas avec soin.

J’avais un jour invité à dîner M. S***, vieillard fort aimable, et gourmand au plus haut de l’échelle. Soit parce que je ne connaissais pas ses goûts, soit pour prouver à tous mes convives que j’avais leur jouissance à cœur, je n’avais pas épargné les truffes, et elles se présentaient sous l’égide d’un dindon vierge avantageusement farci.

M. S*** en mangea avec énergie : et comme je savais que jusque-là il n’en était pas mort, je le laissai faire, en l’exhortant à ne pas se presser, parce que personne ne voulait attenter à la propriété qui lui était acquise.

Tout se passa très-bien, et on se sépara assez tard :