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En y regardant de près, les éléments de nos plaisirs sont la difficulté, la privation, le désir de la jouissance. Tout cela se rencontrait dans l’acte qui rompait l’abstinence ; j’ai vu deux de mes grands-oncles, gens sages et braves, se pâmer d’aise au moment où, le jour de Pâques, ils voyaient entamer un jambon ou éventrer un pâté. Maintenant, race dégénérée que nous sommes ! nous ne suffirions pas à de si puissantes sensations !

origine du relâchement.

118. — J’ai vu naître le relâchement ; il est venu par nuances insensibles.

Les jeunes gens jusqu’à un certain âge n’étaient pas astreints au jeûne ; et les femmes enceintes, ou qui croyaient l’être, en étaient exemptées par leur position, et déjà on servait pour elles du gras et un souper qui tentait violemment les jeûneurs.

Ensuite les gens faits vinrent à s’apercevoir que le jeûne les irritait, leur donnait mal à la tête, les empêchait de dormir. On mit ensuite sur le compte du jeûne tous les petits accidents qui assiégent l’homme à l’époque du printemps, tels que les éruptions vernales, les éblouissements, les saignements du nez, et autres symptômes d’effervescence qui signalent le renouvellement de la nature. De sorte que l’un ne jeûnait pas parce qu’il se croyait malade, l’autre parce qu’il l’avait été, et un troisième parce qu’il craignait de le devenir ; d’où il arrivait que le maigre et les collations devenaient tous les jours plus rares.

Ce n’est pas tout : quelques hivers furent assez rudes pour qu’on craignit de manquer de racines ; et la puissance ecclésiastique elle-même se relâcha officiellement de sa rigueur, pendant que les maîtres se plaignaient