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Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/298

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MÉDITATION XXVI.

hommes puissants en adoptèrent ensuite l’usage, et en peu de temps il devint général et s’est conservé jusque vers le commencement du quatrième siècle de l’ère chrétienne.

Ces lits, qui n’étaient d’abord que des espèces de bancs rembourrés de paille et recouverts de peaux, participèrent bientôt au luxe qui envahit tout ce qui avait rapport aux festins. Ils furent faits des bois les plus précieux, incrustés d’ivoire, d’or, et quelquefois de pierreries ; ils furent formés de coussins d’une mollesse recherchée, et les tapis qui les recouvraient furent ornés de magnifiques broderies.

On se couchait sur le côté gauche, appuyé sur le coude ; et ordinairement le même lit recevait trois personnes.

Cette manière de se tenir à table, que les Romains appelaient lectisternium, était-elle plus commode, était-elle plus favorable que celle que nous avons adoptée, ou plutôt reprise ? Je ne le crois pas.

Physiquement envisagée, l’incubitation exige un certain déploiement de forces pour garder l’équilibre, et ce n’est pas sans quelque douleur que le poids d’une partie du corps porte sur l’articulation du bras.

Sous le rapport physiologique, il y a bien aussi quelque chose à dire : l’imbuccation se fait d’une manière moins naturelle ; les aliments coulent avec plus de peine et se tassent moins dans l’estomac.

L’ingestion des liquides ou l’action de boire était surtout bien plus difficile encore ; elle devait exiger une attention particulière pour ne pas répandre mal à propos le vin contenu dans ces larges coupes qui brillaient sur la table des grands ; et c’est sans doute pendant le règne du lectisternium qu’est né le proverbe qui dit que de la coupe à la bouche il y a souvent bien du vin perdu.