Aller au contenu

Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/357

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui était au bout de la table. De mon côté, je tenais rondement tête aux deux Anglais, et plus le repas avançait, plus je me sentais plein de confiance.

Après le clairet vint le porto, après le porto le madère, auquel nous nous tînmes longtemps.

Le dessert était arrivé, composé de beurre, de fromage, de noix de coco et d’ycory. Ce fut alors le moment des toasts ; et nous bûmes amplement au pouvoir des rois, à la liberté des peuples et à la beauté des dames ; nous portâmes, avec M. Wilkinson, la santé de sa fille Mariah, qu’il nous assura être la plus belle personne de toute l’île de la Jamaïque.

Après le vin arrivèrent les spirits, c’est-à-dire le rhum et les eaux-de-vie de vin, de grains et de framboises ; avec les spirits, les chansons ; et je vis qu’il allait faire chaud. Je craignais les spirits ; je les éludai en demandant du punch ; et Little lui-même nous en apporta un bowl, sans doute préparé d’avance, qui aurait suffi pour quarante personnes. Nous n’avons point en France de vases de cette dimension.

Cette vue me rendit le courage ; je mangeai cinq ou six rôties d’un beurre extrêmement frais, et je sentis renaître mes forces. Alors je jetai un coup d’œil scrutateur sur tout ce qui m’environnait ; car je commençais à être inquiet sur la manière dont tout cela finirait. Mes deux amis me parurent assez frais ; ils buvaient en épluchant des noix d’ycory ! M. Wilkinson avait la face rouge-cramoisi, ses yeux étaient troubles, il paraissait affaissé ; son ami gardait le silence ; mais sa tête fumait comme une chaudière bouillante, et sa bouche immense s’était formée en cul de poule. Je vis bien que la catastrophe approchait.

Effectivement, M. Wilkinson, s’étant réveillé comme en sursaut, se leva et entonna d’une voix assez forte