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Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/358

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l’air national Rule Britannia ; mais il ne put jamais aller plus loin ; ses forces le trahirent ; il se laissa retomber sur sa chaise, et de là coula sous la table. Son ami, le voyant dans cet état, laissa échapper un de ses plus bruyants ricanements, et s’étant baissé pour l’aider, tomba à côté de lui.

Il est impossible d’exprimer la satisfaction que me causa ce brusque dénoûment et le poids dont il me débarrassa. Je me hâtai de sonner. Little monta, et après lui avoir adressé la phrase officielle : « Voyez à ce que ces gentlemen soient convenablement soignés, » nous bûmes avec lui un dernier verre de punch à leur santé. Bientôt le waiter arriva, aidé de ses sous-ordres, et ils s’emparèrent des vaincus, qu’ils transportèrent chez eux les pieds les premiers, suivant la règle the feet foremost[1], l’ami gardant une immobilité absolue, et M. Wilkinson essayant toujours de chanter l’air Rule Britannia.

Le lendemain les journaux de New-York, qui furent ensuite successivement copiés par tous ceux de l’Union, racontèrent avec assez d’exactitude ce qui s’était passé, et ayant ajouté que les deux Anglais avaient été malades des suites de cette aventure, j’allai les voir. Je trouvai l’ami tout stupéfié par les suites d’une forte indigestion, et M. Wilkinson retenu sur sa chaise par un accès de goutte que notre lutte bachique avait probablement réveillée. Il parut sensible à cette attention, et me dit, entre autres choses : « Oh ! dear sir, you are very good company indeed, but too a drinker for us[2].

  1. On se sert, en anglais, de cette expression pour désigner ceux qu’on emporte morts ou ivres.
  2. Mon cher monsieur, vous êtes en vérité de très-bonne compagnie, mais vous êtes trop fort buveur pour nous.