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Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/367

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le séparer de sa racine, et le coutelier voisin fut chargé de faire immédiatement un couteau approprié à cette haute fonction.

Pendant les jours suivants, l’asperge ne fit que croître en grâce et en beauté ; sa marche était lente, mais continue, et bientôt on commença à apercevoir la partie blanche où finit la propriété esculente de ce légume.

Le temps de la moisson ainsi indiqué, on s’y prépara par un bon dîner, et on ajourna l’opération au retour de la promenade.

Alors monseigneur s’avança armé du couteau officiel, se baissa avec gravité, et s’occupa à séparer de sa tige le végétal orgueilleux, tandis que toute la cour épiscopale marquait quelque impatience d’en examiner les fibres et la contexture.

Mais, ô surprise ! ô désappointement ! ô douleur ! le prélat se releva les mains vides… L’asperge était de bois.

Cette plaisanterie, peut-être un peu forte, était du chanoine Rosset, qui, né à Saint-Claude, tournait à merveille et peignait fort agréablement.

Il avait conditionné de tout point la fausse plante, l’avait enfoncée en cachette, et la soulevait un peu chaque jour pour imiter la croissance naturelle.

Monseigneur ne savait pas trop de quelle manière il devait prendre cette mystification (car c’en était bien une) ; mais voyant déjà l’hilarité se peindre sur la figure des assistants, il sourit ; et ce sourire fut suivi de l’explosion générale d’un rire véritablement homérique : on emporta donc le corps du délit, sans s’occuper du délinquant ; et, pour cette soirée du moins, la statue-asperge fut admise aux honneurs du salon.