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faim ? Je ne veux pas en courir la chance. Je vais sonner Justine. »

Aussitôt dit, aussitôt fait, et on éveilla la pauvre soubrette, qui, ayant bien soupé, dormait comme on dort à dix-neuf ans quand l’amour ne tourmente pas[1].

Elle arriva tout en désordre, les yeux bouffis, bâillant, et s’assit en étendant les bras.

Mais ce n’était là qu’une tâche facile ; il s’agissait d’avoir la cuisinière, et ce fut une affaire. Celle-ci était cordon bleu, et partant souverainement rechigneuse ; elle gronda, hennit, grogna, rugit et renâcla ; cependant elle se leva à la fin, et cette circonférence énorme commença à se mouvoir.

Sur ces entrefaites, madame de Versy avait passé une camisole, son mari s’était arrangé tant bien que mal, Justine avait étendu sur le lit une nappe, et apporté les accessoires indispensables d’un festin improvisé.

Tout étant ainsi préparé, on vit paraître la poularde, qui fut à l’instant dépecée et avalée sans miséricorde.

Après ce premier exploit, les époux se partagèrent une grosse poire de Saint-Germain, et mangèrent un peu de confitures d’oranges.

Dans les entr’actes, ils avaient creusé jusqu’au fond une bouteille de vin de Grave, et répété plusieurs fois, avec variations, qu’ils n’avaient jamais fait un plus agréable repas.

Ce repas finit pourtant ; car tout finit en ce bas monde. Justine ôta le couvert, fit disparaître les pièces de conviction, regagna son lit, et le rideau conjugal tomba sur les convives.

Le lendemain matin, madame de Versy courut chez

  1. A pierna tendida. (Esp.)