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des jeunes gens à lui glisser dans la main un billet de cinq livres sterling, qu’il accepta après une molle résistance.

Il avait donné son adresse ; et à quelque temps de là il ne fut que médiocrement surpris de recevoir une lettre par laquelle on le priait, dans les termes les plus honnêtes, de venir accommoder une salade dans un des plus beaux hôtels de Grosvenor square.

D’Albignac, commençant à prévoir quelque avantage durable, ne balança pas un instant, et arriva ponctuellement, après s’être muni de quelques assaisonnements nouveaux qu’il jugea convenables pour donner à son ouvrage un plus haut degré de perfection.

Il avait eu le temps de songer à la besogne qu’il avait à faire ; il eut donc le bonheur de réussir encore, et reçut, pour cette fois, une gratification telle qu’il n’eût pas pu la refuser sans se nuire.

Les premiers jeunes gens pour qui il avait opéré avaient, comme on peut le présumer, vanté jusqu’à l’exagération le mérite de la salade qu’il avait assaisonnée pour eux. La seconde compagnie fit encore plus de bruit, de sorte que la réputation de d’Albignac s’étendit promptement : on le désigna sous la qualification de fashionable salat-maker ; et dans ce pays avide de nouveautés, tout ce qu’il y avait de plus élégant dans la capitale des trois royaumes se mourait pour une salade de la façon du gentleman français : I die for it, c’est l’expression consacrée.

Désir de nonne est un feu qui dévore,
Désir d’Anglaise est cent fois pis encore.

D’Albignac profita en homme d’esprit de l’engouement dont il était l’objet ; bientôt il eut un carrik pour se transporter plus vite dans les divers endroits où il