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Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/95

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DES ALIMENTS.

Mais sous les ordres d’un chef instruit, le gibier subit un grand nombre de modifications et transformations savantes, et fournit la plupart des mets de haute saveur qui constituent la cuisine transcendante.

Le gibier tire aussi une grande partie de son prix de la nature du sol où il se nourrit : le goût d’une perdrix rouge du Périgord n’est pas le même que celui d’une perdrix rouge de Sologne ; et quand le lièvre tué dans les plaines des environs de Paris ne paraît qu’un plat assez insignifiant, un levraut né sur les coteaux brûlés du Valromey ou du haut Dauphiné est peut-être le plus parfumé de tous les quadrupèdes.

Parmi les petits oiseaux, le premier, par ordre d’excellence, est sans contredit le becfigue.

Il s’engraisse au moins autant que le rouge-gorge ou l’ortolan, et la nature lui a donné en outre une amertume légère et un parfum unique si exquis, qu’ils engagent, remplissent et béatifient toutes les puissances dégustatrices. Si un becfigue était de la grosseur d’un faisan, on le payerait certainement à l’égal d’un arpent de terre.

C’est grand dommage que cet oiseau privilégié se voie si rarement à Paris : il en arrive à la vérité quelques-uns, mais il leur manque la graisse qui fait tout leur mérite, et on peut dire qu’ils ressemblent à peine à ceux qu’on voit dans les départements de l’est ou du midi de la France[1].

Peu de gens savent manger les petits oiseaux ; en

  1. J’ai entendu parler à Belley, dans ma jeunesse, du jésuite Fabi, né dans ce diocèse, et du goût particulier qu’il avait pour les becfigues.
    Dès qu’on en entendait crier, on disait : Voilà les becfigues, le père Fabi est en route. Effectivement, il ne manquait jamais d’arriver le 1er septembre avec un ami : ils venaient s’en régaler pendant tout le passage ; chacun se faisait un plaisir de les inviter, et ils partaient vers le 25.
    Tant qu’il fut en France, il ne manqua jamais de faire son voyage ornithophilique,