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Page:Pierre Corrard - Le Journal d'une Femme du Monde, 1902.pdf/102

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LE JOURNAL

vécu, apathique, plongée en une sorte de somnolence. Il me semblait que je n’existais plus : tout m’était indifférent. Seule, dans cet anéantissement de mes facultés, me resta nette la conscience d’avoir à tout jamais perdu la paix de mes années de jeunesse.

Pauvre journal, confident de mes pensées, de mes joies et de mes peines, c’est aujourd’hui que je te reprends. J’ai fui quelques instants, pour me confier à toi, les splendeurs d’une fête qui pour moi n’est que la consécration d’un martyre. Cela me fait du bien de me retrouver seule, dans ma chambre, et je profite avidement de la jouissance que j’éprouve parce que l’on viendra trop tôt m’y arracher.

— Il est six heures. Ce matin, c’était le mariage à l’église, car je suis mariée maintenant ! Je ne suis plus Raymonde de Clovers, je suis Mme Grandidier ! À peine si je peux y croire : il me semble que c’est une plaisanterie, une mascarade. Tout s’est fait sans que je m’en aperçusse.

Et durant des heures — d’autres en tireraient vanité — il m’a fallu sourire à des gens que je connais peu ou point, qui tous me sont indifférents, à qui je suis indifférente.