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Page:Pierre Corrard - Le Journal d'une Femme du Monde, 1902.pdf/116

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LE JOURNAL

Ah ! s’il en était ainsi !… d’abord tu ne serais pas ici, ni moi non plus.

Elle se mit à rire.

Son rire me fit mal et me glaça. L’ironie, l’ironie partout, jusque dans la bouche de ma mère ! En cette minute, je compris à quel point j’étais seule, abandonnée, sans secours. Je compris toute l’étendue du malheur que je venais d’épouser. Le silence irritant, dans lequel résonnaient encore ces derniers mots et ce rire innocemment cruel, me pesait : pour le rompre, je jetai au hasard, sans savoir ce que je disais :

— Alors, vous partez ?

— Il le faut, mais demain je viendrai te voir, et je gage que ma chère petite Raymonde n’aura plus ses idées noires.

Elle pencha sur moi sa belle tête blonde, si fraîche, si riante, si jeune encore. Tout le caractère de cette femme se lisait dans ses yeux, pleins de larmes une minute avant, maintenant radieux. Ah ! certes, ma chère maman n’avait jamais connu dans sa vie de torture approchant la mienne : ce visage sans rides et ce front sans nuages le disaient bien. Une heureuse insouciance, faite de bonne humeur et d’un peu de frivolité, lui avait per-