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Page:Pierre Corrard - Le Journal d'une Femme du Monde, 1902.pdf/217

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D'UNE FEMME DU MONDE.

mon mari : il était mon amant ! Mon amant ! Et voilà pourquoi notre amour, nous devions le cacher à tous comme un trésor volé ! Voilà pourquoi nous n’avions de tranquillité que dans la solitude, comme des malfaiteurs ! Mon amant ! Il était mon amant, rien que mon amant ! C’est-à-dire que jamais, jamais, je ne pourrais vivre avec lui, tout entière à lui ! Jamais je ne pourrais lui consacrer mes journées et mes nuits : les heures que Dieu nous compte, il me les faudrait toujours partager entre le monde et mon amant, entre l’amour et le devoir ! Les joies du foyer, il ne me serait jamais donné que de les pleurer sans les avoir connues. Toujours nous vivrons séparés l’un de l’autre par cet abîme qu’ont creusé les préjugés et les convenances : telle est notre destinée. Toute ma vie, je serai l’esclave, la propriété d’un être que je méprise, que je hais, qui me répugne, d’un être auquel je me suis vendue.

Jamais ne m’était encore apparu si clairement ce qu’avaient d’effroyable l’abandon que j’ai fait de moi-même, l’abnégation devant laquelle je n’ai pas reculé, toute l’étendue enfin de l’horrible sacrifice que j’ai consenti.

Et, inconsciemment, je murmurai :