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Page:Pierre Corrard - Le Journal d'une Femme du Monde, 1902.pdf/292

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LE JOURNAL.

— Ah ! taisez-vous, Roger !… Ne recommencez pas, je vous en prie. Je croyais… que vous aviez oublié…

— Vous l’avez cru !… Je l’ai cru moi-même. Ou plutôt, non, je ne l’ai jamais cru. Seulement, pendant ces derniers jours, las de souffrir, j’ai essayé de tromper ma douleur, de me tromper moi-même. Je parlais de lui, de cet enfant, comme d’un être indifférent ; vous me voyiez plaisanter, rire, mais ce que vous ne voyiez pas, ce que vous ne pouviez pas voir, c’étaient le dépit, la rage sourde que cachait ce jeu trompeur. Ah ! oui, sans doute, je parlais continuellement de lui, mais c’est parce que je l’avais continuellement présent à l’esprit. Et puis, vous ne savez pas, vous, ce que c’est que d’être jaloux !… Vous ne savez pas que l’homme jaloux aime, retournant ainsi le poignard dans sa plaie, à parler sans cesse de l’objet de sa jalousie, de même que l’assassin a toujours à la bouche le nom de sa victime et jette son exploit criminel à tous les échos, ne le pouvant garder pour lui, parce que son souvenir le dévore, le ronge comme un cancer !

Mais non, non, quoique j’aie fait, quoique vous ayez pu croire, je n’ai jamais cessé,