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Page:Pierre Corrard - Le Journal d'une Femme du Monde, 1902.pdf/80

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LE JOURNAL

Je ne pus aller plus loin, tant je redoutais la réponse.

Mon père sourit et regarda ma mère qui sourit à son tour :

— Ne fais pas l’ingénue, dit il, tu le sais aussi bien que nous.

Un cri m’échappa, je portai les mains à mon visage et mon cœur, depuis si longtemps torturé, se brisa dans un sanglot.

— Ma fille !… s’écria ma mère. Ma chère enfant !

— Non, non ! Jamais !… Je ne veux pas épouser M. Grandidier

— Tu ne veux pas ? répéta mon père.

Alors je fis sur moi-même un violent effort et je jetai :

— Je ne peux pas !

J’allais m’abandonner, raconter la scène du bois, le soir du feu d’artifice, j’allais dire l’impression d’horreur que m’avait produite cet homme, quand, à la lueur d’une fusée, je l’avais vu devant moi, le visage empourpré, tuméfié, apoplectique, les yeux luisants, hors de la tête, j’allais tout dire !… Une sorte de honte, comme une pudeur secrète me retint. Il y avait eu, je le sentais bien, dans l’attitude de cet homme, dans sa physionomie, dans la