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Page:Pierre Corrard - Le Journal d'une Femme du Monde, 1902.pdf/96

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LE JOURNAL

ce de ma faute si mes parents s’étaient ruinés ? Devais-je une réparation ? Qui avait le droit de m’imposer un pareil sacrifice ? Personne, pas même Dieu, puisqu’il est juste et bon. « Demain, pensais-je, j’irai trouver mon père. Je tâcherai d’abord de le convaincre, et s’il ne comprend pas, tant pis !… Et s’il veut me contraindre, je m’enfuirai au couvent, le seul endroit où j’aie connu des jours paisibles et heureux. »

M’étant arrêtée à cette détermination, ses conséquences m’apparurent aussitôt. Mon père, ma pauvre mère dans le dénuement, dans la misère — le mot n’avait-il pas été prononcé ! — Et puis, le déshonneur. Et je les voyais vieux, souffrant, vivant à l’écart, pauvrement, et dans leurs yeux désséchés, je lisais : « Si tu avais voulu »

Si j’avais voulu ! Si je voulais ! Car cela dépendait de moi : je tenais leur destinée entre mes mains. D’un mot, je pouvais à jamais assurer le bonheur de ma pauvre maman, sa tranquillité. Oh ! la belle, la grande action ! Et tout d’un coup, je trouvai la force qui m’était nécessaire, que je cherchais en vain, je la trouvai dans le désir de voir ma mère heureuse. Et je compris que moi-même