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D'UNE FEMME DU MONDE.

je ne serais pas malheureuse, puisque j’aurais la plus grande des satisfactions que peut rêver un noble cœur, celle d’avoir sauvé ce qu’il a de plus cher au monde.

Cependant le jour, qui se levait, blanchissait l’horizon ; une faible clarté pénétrait dans la chambre. J’allai à la fenêtre, je l’ouvris, et j’aspirai avec délice l’air frais du matin. Alors devant le spectacle qui s’offrit à mes yeux, les pelouses recouvertes de gelée blanche, les oiseaux s’éveillant dans les bosquets, la limpidité de l’atmosphère, me revint à la mémoire le souvenir de ma première matinée à Clovers. En ce temps-là et malgré mes frayeurs incertaines, j’espérais vivre en paix. Mais puisque le ciel en avait décidé autrement, je devais obéir. D’ailleurs ce parc, ces bois, ce vieux château, tout cela ne me disait-il pas de partir ! Tout cela ne semblait-il pas me dire dans le silence recueilli de cette pâle aurore : « Petite maîtresse, si tu ne pars pas, nous serons vendus. Plus jamais tu ne nous reverras. Plus jamais, non plus, nous ne reverrons celle que nous aimons tant, celle que tu aimes tant aussi, effleurer de son pied léger le sable fin de nos allées, se reposer sous la verdure de nos épais feuillages, cueillir de ses doigts blancs et frêles