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grès considérables. Il unit, d’ailleurs, en de prodigieuses inconséquences, les idées les plus audacieuses et les superstitions les plus puériles. L’astrologie et la divination des songes ne l’occupent guère moins que la saine physique et la rigoureuse arithmétique.

Son respect de la richesse intellectuelle d’autrui ne va pas jusqu’au scrupule ; il ne rougit pas de grossir le bagage de ses propres découvertes en y glissant quelques emprunts faits à la science de ses contemporains. Un exemple en fait foi.

Excité par une question d’Antoine Fiore, qui tenait de Ferro de Bologne une méthode pour résoudre une équation du troisième degré. Tartaglia[1] parvint à résoudre toutes les équations de cet ordre. Sa découverte, qu’il cachait soigneusement, afin de pouvoir porter de sûrs défis à ses émules — comme un bretteur garde une botte secrète — finit néanmoins par transpirer. Cardan s’y intéressa vivement. A plusieurs reprises, il sollicita et fit solliciter Tartaglia pour qu’il lui communiquât sa méthode. Après avoir essuyé plusieurs refus, il obtint une pièce de vers où était expliqué le moyen d’avoir une racine de toute équation du troisième degré. Pour obtenir ce renseignement, il n’avait pas hésité à engager sa foi de chrétien et sa parole de gentilhomme que jamais il ne publierait la méthode dont il demandait à Tartaglia la révélation : « Io vi giuro, lui écrivait-il, ad sacra Dei evangelia, et da real gentil’huomo, non solamente di non publicar giammai tale vostra inventione, se me le insignate... » Quand il connut la solution si ardemment souhaitée, il s’empressa de la publier dans son Ars Magna. Tartaglia se plaignit vivement du parjure grâce auquel sa découverte paraissait pour la première fois dans le livre d’autrui. « Il avait raison de se plaindre, dit Libri, car la

  1. Voir, à ce sujet, Libri, Histoire des Sciences mathématiques en Italie, t. 111, pp. 148 et suiv. Paris, 1840.