Page:Pierre Luguet Une descente au monde sous-terrien 1909.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

99
une descente au monde sous-terrien

chassés sans un instant de répit par une mer en furie ; le pont du Canadien était rasé comme si vingt volées d’obus y eussent passé. Nous n’avions plus ni bordages, ni passerelle, ni boussole ; nous dirigions notre gouvernail au moyen d’un cabestan qui, par hasard, était resté debout ; nous avions perdu deux hommes de l’équipage, enlevés par les lames et qu’on n’avait même pas pu songer à secourir ; nous étions à demi-morts de froid, de fatigue et de faim, car le gros temps ne nous laissait même pas le loisir de casser un morceau de biscuit. Nous étions dans un état lamentable, continuellement trempés par les paquets d’eau qui nous arrivaient de l’arrière et nous couvraient en grand ; nous étions amarrés par des cordages à tout ce qui voulait bien tenir encore, et près, je vous assure, de nous abandonner définitivement, tant nous nous sentions démoralisés.

« Un jour — cette course à la mort durait depuis longtemps déjà et la tempête redoublait de violence — un jour je venais de faire le point tant bien que mal et de constater que nous nous trouvions juste au nord des îles Fernando-Noronha, c’est-à-dire tout près de l’endroit où nous sommes en ce moment, lorsqu’une fumée intense et nauséabonde se mit à sourdre par les interstices des capots fermant les soutes à pétrole. L’acharnement du sort n’avait pas été complet jusqu’alors, paraît-il. Nos épreuves n’avaient pas été suffisamment cruelles : le chargement brûlait.

« Comment s’était-il allumé, sur ce navire à voiles où on ne faisait pas de feu, même pour la cuisine, depuis plusieurs jours ? D’où était partie l’étincelle qu’il fallait pour ce nouveau désastre ? Je ne l’ai jamais su et ne le saurai jamais.