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SUITE DE LA POÉSIE ÉLÉGIAQUE.

exprimé les souhaits qu’il forme pour lui-même, le poëte montre la justice divine frappant le crime de coups inévitables ; il dit comment les hommes, malgré le cri de leur conscience, ne laissent pas de s’abandonner aux folles passions ; il peint leur ambition, leurs espérances toujours trompées, et, au bout de toutes choses, la souffrance et la mort. Sa conclusion, c’est que la sagesse est le premier de tous les biens, le bien unique et suprême. Solon s’est mis tout entier dans cette élégie, surtout dans les vers qui suivent l’invocation. Il souhaite fortune et renommée ; il demande d’être doux à ses amis, amer à ses ennemis ; d’être à ceux-là un objet de respect, un objet de crainte aux autres. Il ajoute ensuite : « Oui, je désire avoir des richesses, mais je ne veux pas en jouir injustement. L’opulence que donnent les dieux, c’est pour l’homme qui la possède un édifice solide du fondement au faîte. Mais celle que recherchent les hommes n’est qu’un fruit de la violence et du crime. Forcée par des actes iniques, elle vient, mais malgré elle : bien vite elle est mêlée d’infortune. »

Solon n’était pas uniquement un poëte élégiaque. Je ne saurais dire s’il s’était essayé dans le genre épique, car il n’est pas prouvé qu’il ait rien écrit en vers hexamètres, sauf peut-être la courte invocation que j’ai citée, qui devait servir de début au préambule de ses lois. Mais il avait manié supérieurement l’ïambe et le trochée. Solon n’est point un satirique outrageux et violent comme Archiloque, ni un observateur morose comme Simonide d’Amorgos. Il se sert d’un rythme vif et passionné, non point pour attaquer, mais pour se défendre. C’est en vers trochaïques qu’il fit son apologie contre ceux qui lui reprochaient de n’avoir pas su constituer un pouvoir plus énergique et moins contesté, et d’avoir refusé la tyrannie quand on la lui offrait. Plutarque a transcrit le passage où Solon rapporte les piquantes railleries que faisaient de sa conduite certains habiles de ce temps-là : « Solon n’a été ni un vrai sage ni un homme de sens. Les biens que lui donnait la divinité, lui-même n’a pas voulu les recevoir. Le poisson pris, il a regardé tout ébahi, et n’a point retiré le grand filet. Il a perdu la raison ; il ne se connaît