Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
308
CHAPITRE XX.

pas qu’Eschyle et Sophocle soient ce qu’ils sont ; mais je regrette bien moins encore qu’Euripide soit Euripide, et qu’il n’ait pas tenté, contre nature, d’écrire à la façon de Sophocle ou d’Eschyle. Les chants de ses chœurs sont dans le dialecte de la grande poésie lyrique ; mais Euripide s’y retrouve encore : si l’inspiration est plus élevée, si le ton est plus poétique, si la phrase prend un tour plus ample et plus majestueux, la pensée se révèle, au travers des mots, presque aussi claire et aussi aisée à comprendre que dans le dialogue. Les poëtes de la nouvelle Comédie ne s’acharnèrent point, comme ceux de l’ancienne, sur les vices réels ou supposés du style d’Euripide. Ménandre, par exemple, professait pour le poëte une admiration sans bornes : « C’est lui qu’il prit pour modèle, dit Quintilien, malgré la différence des genres. » C’est le style d’Euripide, ce sont ses formes poétiques, c’est sa diction même, qui se montrent en effet dans tout ce qui nous reste des œuvres de Ménandre et de ses émules.


Enthousiasme des anciens pour Euripide.


Je finirai ce chapitre par quelques anecdotes qui donneront une idée de la réputation extraordinaire dont jouit Euripide et pendant sa vie et après sa mort, et des merveilleux effets que produisaient ses poésies, non-seulement sur les âmes des Athéniens, mais sur celles de tous les peuples grecs et même des barbares grécisés.

Les soldats de l’armée de Nicias qui avaient été faits prisonniers par les Siciliens furent enfermés dans les Carrières, ou vendus comme esclaves. Mais beaucoup d’entre eux durent aux vers d’Euripide leur vie et leur liberté : « Il paraît, dit Plutarque dans la Vie de Nicias, qu’entre tous les Grecs du dehors, il n’en était pas qui eussent pour les poésies d’Euripide autant de passion que ceux de Sicile. Chaque fois que les voyageurs leur en apportaient des fragments et leur en faisaient goûter quelques essais, ils les apprenaient par cœur et se les transmettaient avec amour les uns aux autres. Aussi dit-on qu’alors beaucoup de ceux qui revinrent sains et saufs allèrent, en rentrant dans leur patrie, saluer Euripide avec