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ANCIENNE COMÉDIE.

menait le phallus, emblème de la génération ; et les phallophores chantaient, comme on peut croire, des hymnes qui différaient quelque peu du récit des aventures héroïques de Bacchus. Les chants phalliques accompagnaient des danses désordonnées, et qui ne ressemblaient guère non plus à la ronde dithyrambique. Quand l’ivresse physique venait se mêler à cette ivresse de l’imagination et des sens ; quand les banqueteurs, tout pleins de leur dieu, tout hors d’eux-mêmes et saisis d’un frénétique délire, gambadant, gesticulant, trébuchant, se mettaient à chanter à tue-tête, s’injuriaient à qui mieux mieux, se poussaient, se battaient ; quand on les voyait se barbouiller de lie, se grimer, se déguiser en bêtes ; quand ce tohu-bohu, cette espèce de carnaval, ce comos enfin, dansait et chantait à sa manière, on disait : « Voilà la comédie ! » Le mot comédie ne signifie en effet autre chose que chant du banquet : κωμῳδία, de κῶμος, banquet, et de ᾠδή, chant. Les campagnes avaient, comme les carrefours d’Athènes, des comédies de ce genre. Celle de la saison d’automne se nommait, comme de raison, trygédie, c’est-à-dire chant des vendanges[1] ; mais le mot comédie était le nom générique, et il finit par prévaloir sur tous les autres.


Susarion.


Ce fut un homme de génie, celui qui le premier essaya de ramener à des règles tous ces éléments confus, et de faire passer le chœur comique sous le joug de la Muse. Les Athéniens en attribuaient la gloire à un poëte né à Mégare, mais qui avait vécu en Attique, Susarion, contemporain de Thespis. Il est même probable que c’est lui qui fit monter ses choreutes sur le tombereau attribué à Thespis, et qui promena par les bourgs, comme dit Boileau, cette heureuse folie. La comédie devint, entre ses mains, une satire dialoguée et chantée, avec accompagnement de danses appropriées au sujet. Cette satire n’était ni moins licencieuse dans les paroles, ni plus réservée dans les gestes, que ne l’avait été la

  1. De τρύγη, vendange, et de ᾠδή