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THUCYDIDE.

de lui. Je n’apprendrai rien à personne en disant que, grâce au dévouement de M. Zévort, Thucydide est devenu aussi facile à lire qu’il était difficile auparavant. Ce qui ajoute encore au prix de cette œuvre d’érudition et de talent, c’est l’excellent morceau de critique qui est en tête. On n’avait jamais parlé de Thucydide avec une connaissance si approfondie, ni avec une si vive admiration, ni avec cette force de raison qui est l’éloquence même. C’est à ces belles pages que je renvoie le lecteur curieux de vérifier mes assertions sur le caractère du génie de Thucydide. Toutes ces opinions, que je n’avançais qu’avec une extrême défiance, M. Zévort les a reprises en détail avec l’autorité de sa science, et leur a imprimé l’évidence absolue, incontestable, irrésistible. Je me fais un plaisir de citer ce qui a plus particulièrement trait au style et à la diction de Thucydide :

« L’absence complète de tout développement périodique, l’usage fréquent de l’ellipse, les associations insolites de mots, donnent au style une apparence lyrique qui rappelle la manière de Pindare et des tragiques. On ne peut pas dire que la lumière manque : elle jaillit, au contraire, de tant de points à la fois, qu’on est quelque temps à se reconnaître… Quand on est assez familiarisé avec la pensée et la langue de Thucydide pour le suivre sur les escarpements où il aime à se tenir, on éprouve un plaisir analogue à celui du savant qui, maître enfin de la clef d’une science, avance désormais avec assurance, et voit se découvrir devant lui des horizons infinis. Chaque pas est pénible encore ; mais la fatigue est largement payée : ce qui était obscurité au début devient énergique précision ; la composition des mots, si embarrassante dans toutes les langues par le vague qu’elle introduit dans le discours en groupant les idées et en les présentant synthétiquement et par masses, ne nuit en rien, chez Thucydide, à la netteté et à l’exacte détermination des contours ; elle ajoute même à la vigueur de la pensée et à l’effet général, comme ces instruments qui semblent multiplier la lumière en concentrant tous ses rayons sur un seul point. L’antithèse, dont il fait un usage trop fréquent peut-être, suivant les habitudes du temps, ne forme pas du moins disparate avec sa