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LITTÉRATURE SICILIENNE.

sont de vrais enfants de la solitude, et qui ne se doutent que médiocrement des bienséances sociales. En un mot, ils sont vivants, on les voit. Ce sont bien des chevriers, des pâtres, des bouviers : ils ne ressemblent à rien au monde qu’a eux-mêmes. La langue qu’ils parlent est d’une extrême simplicité, mais énergique comme leurs passions, mais pleine de chaleur et de force ; et, quoiqu’ils n’aillent pas chercher bien loin leurs expressions ni leurs images, ils ne cessent pas un instant d’être dignes de la poésie, même quand ils s’accablent d’injures, même quand ils disent de ces choses qu’un rustre peut seul proférer sans rougir. Ils sont poétiquement brutaux, ils ne sont point obscènes : J’aimerais mieux sans doute que Théocrite eût effacé quelques traits un peu plus que vifs ; mais je n’ai pas le courage de lui reprocher le tort d’être un peintre fidèle. Toutefois il est permis de préférer, même à ses plus admirés tableaux de la vie champêtre, même à ceux où il a exprimé avec le plus de bonheur les brûlants transports de l’amour, d’autres idylles non moins charmantes, mais plus chastes et plus pures. C’est dans les idylles non bucoliques que sont, à mon avis, les plus parfaits chefs-d’œuvre de Théocrite.


Les Syracusaines.


Les Syracusaines sont regardées avec raison comme un mime ; seulement c’est un mime en vers. Théocrite y présente, à la manière de Sophron, une suite de scènes empruntées à la vie commune, mais sans nœud dramatique, et qui ne tiennent de la comédie que par le ton du dialogue et les caractères des personnages.

Deux commères de Syracuse, dont les maris habitent Alexandrie, se sont donné rendez-vous chez l’une d’elles, afin d’aller voir ensemble, au palais de Ptolémée, la célébration des fêtes d’Adonis. Elles causent de choses et d’autres, médisent quelque peu de leurs maris, et finissent par se mettre en route. Ce n’est pas sans peine qu’elles arrivent au palais. La rue est pleine d’une foule énorme ; elles rencontrent les chevaux de guerre du roi ; il leur faut fendre, à la