Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/110

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ment à chacun que ce qu’il fait par décence, on le lui rend par justice.

Quand on seroit convaincu de la fausseté des protestations d’estime, on les préféreroit encore à la sincérité, parce que la fausseté a un air de respect dans les occasions où la vérité seroit une offense. Un homme sait qu’on pense mal de lui, cela est humiliant ; mais l’aveu qu’on lui en feroit seroit une insulte, on lui ôteroit par là toute ressource de chercher à s’aveugler lui-même, et on lui prouveroit le peu de cas qu’on en fait. Les gens les plus unis, et qui s’estiment à plus d’égards, deviendroient ennemis mortels, s’ils se témoignoient complètement ce qu’ils pensent les uns des autres. Il y a un certain voile d’obscurité qui conserve bien des liaisons, et qu’on craint de lever de part et d’autre.

Je suis bien éloigné de conseiller aux hommes de se témoigner durement ce qu’ils pensent, parce qu’ils se trompent souvent dans les jugemens qu’ils portent, et qu’ils sont sujets à se rétracter bientôt, sans juger ensuite plus sainement. Quelque sûr qu’on soit de son jugement, cette dureté n’est permise qu’à l’amitié, encore faut-il qu’elle soit autorisée par la nécessité et l’espérance du succès. Les opérations cruelles n’ont été imaginées que pour sauver la vie, et les palliatifs pour adoucir les douleurs.