Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/139

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n’ose plus la lui reprocher, quand on le voit en faire gloire. L’audace fait sa justification, et le reproche qu’on lui feroit seroit un ridicule auquel on n’ose s’exposer. On commence alors à douter qu’il ait tort ; on craint de l’avoir. Dans la façon commune de penser, prévoir une objection, c’est la réfuter sans être obligé d’y répondre ; dans les mœurs, prévenir un reproche, c’est le détruire.

Un homme qui en a trompe un autre par l’artifice le plus adroit et le plus criminel, loin d’en avoir des remords ou de la honte, se félicite sur son habileté ; il se cache pour réussir, et non pas d’avoir réussi ; il s’imagine simplement avoir gagné une belle partie d’échecs, et celui qui est sa dupe ne pense guère autre chose, sinon qu’il l’a perdue par sa faute : c’est de lui-même qu’il se plaint. Le ressentiment est déjà devenu un sentiment trop noble, à peine est-on digne de haïr, et la vengeance n’est plus qu’une revanche utile ; on la prend comme un moyen de réussir, et pour l’avantage qui en résulte.

Cette manière de penser, cette négligence des mœurs avilit ceux mêmes qu’elle ne déshonore pas, et devient de plus en plus dangereuse pour la société. Ceux qui pourroient prétendre à la gloire de donner l’exemple par leur rang ou par leurs lumières, paroissent avoir trop peu de