Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 8.djvu/183

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La campagne se passa comme le souper : j’y fus d’abord contraint, madame de Selve fort sérieuse, et madame Dorsigny très-étourdie. La tranquillité de madame de Selve me rendit la sécurité. Je la crus assez aveugle pour que je n’eusse pas besoin de garder des ménagemens ; le plaisir l’emporta sur l’estime, et je me livrai à toutes les fantaisies de madame Dorsigny. Elle ne parut pas elle-même faire plus d’attention à madame de Selve. En me rappelant ma conduite passée, j’ai senti combien il étoit important pour un honnête homme d’être attentif sur l’objet de son attachement : nos vertus ou nos vices en dépendent, avec cette différence que nous nous contentons quelquefois d’estimer les vertus, au lieu que nous partageons toujours les folies.

Je néglige ois extrêmement madame de Selve, qui d’un autre côté étoit l’objet des égards et des attentions du reste de la compagnie. Nous gardions si peu de mesure, madame Dorsigny et moi, que les moins clairvoyants auroient pénétré le secret de notre commerce. Mais il éclata enfin aux yeux de celle à qui il m’importoit le plus de le dérober.

Nous nous étions retirés, madame Dorsigny et moi, dans un endroit du bois très-peu fréquenté, où nous badinions avec une liberté qui