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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/105

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ÉTAT DE L’OPINION

tolérer « l’impudeur des prêtres qui portent avec clochettes, ombrelle et huit torches le viatique en plein jour ». L’administration centrale de l’Escaut écrit au ministre de l’Intérieur que « l’attachement à tout ce qui fait la domination des prêtres est porté jusqu’au fanatisme le plus hébété et le plus opiniâtre »[1]. Et ce dépit s’augmente encore de constater que personne n’observe le repos du décadi, que l’on n’employe pas le calendrier républicain et que les fêtes nationales n’ont d’autre assistance que les militaires et les enfants des écoles qui y viennent par ordre. Même insuccès pour les représentations patriotiques et républicaines organisées dans les théâtres. Y joue-t-on au contraire une pièce anti-jacobine, les spectateurs affluent aussitôt[2]. La presse ou pour mieux dire ce qui subsiste de la presse, ne cache pas son hostilité au régime.[3] À Liège, le Troubadour de Delloye le crible d’allusions et de brocards. Le Républicain du Nord, fondé à Bruxelles en décembre 1795 par Lambrechts, commissaire du directoire du département, rédigé par Norbert Cornelissen et dont il paraît deux fois par décade des résumés en flamand destinés aux campagnes, ne se soutient qu’à coups de subventions officielles. L’emprunt forcé, décrété moins de trois mois après la réunion du pays, paraît d’autant plus insupportable qu’il est exigé des habitants à titre de citoyens français.

Si l’opposition est profonde et générale, elle n’est pourtant pas très dangereuse parce qu’elle manque de centre. Mais il est presque impossible de vaincre la résistance passive et l’apathie voulue par lesquelles elle déconcerte, en échappant à ses prises et en évitant tout éclat, l’action des pouvoirs publics. Pour le seconder dans une tâche que rend encore plus malaisée son ignorance des gens et des choses dans ce pays mécontent, le gouvernement ne peut compter que sur un bien petit nombre

  1. L. de Lanzac de Laborie, La domination française en Belgique, t. I, p. 75 (Paris, 1895).
  2. Descamps, loc. cit., p. 239.
  3. Voy. P. Verhaegen, Essai sur la liberté de la presse en Belgique durant la domination française. Annales de la Société Archéologique de Bruxelles, t. VI [1892], p. 194, 324, t. VII [1893], p..52, 145.