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LE NOUVEAU RÉGIME

République sur la formidable coalition de ses ennemis sembla sceller définitivement le sort du pays.

Pourtant, on commençait à remarquer, dans la conduite du gouvernement, les symptômes d’une orientation nouvelle. Bonaparte s’affirmait, après tant d’années de luttes formidables, comme le restaurateur de l’ordre européen. La signature de la paix d’Amiens avec l’Angleterre (25 mars 1802) parut l’aube d’une ère de pacification générale. On se plaisait à croire que l’ouverture de l’Escaut, si vainement proclamée en 1792, allait devenir, grâce à la liberté des mers, une réalité, et que le retour de la prospérité commerciale compenserait enfin la longue période de misères et d’humiliations que l’on avait traversée.

Aussi rassurant était le changement d’allures de l’administration. Les fonctionnaires ne montraient plus ni morgue ni jactance. À qui mieux mieux ils parlaient maintenant de liberté, daubaient sur les jacobins, stigmatisaient la tyrannie du Directoire. Et surtout la cessation de la persécution religieuse apportait aux consciences des fidèles un allégement délicieux. On sentait que quelque chose était changé qu’on ne s’expliquait pas bien encore, mais dont on s’empressait de jouir. Pour la première fois depuis Dumouriez, la République ne traitait plus les Belges en suspects et leur témoignait une surprenante bienveillance. Ils se méfiaient pourtant et restaient sur leurs gardes. Lors du plébiscite sur la constitution de l’an VIII (18 février 1800), s’il n’y eut pas d’opposants parmi eux, le nombre des votants fut très faible. « C’est tout ce que l’on pouvait espérer, écrit un Français, dans un pays où l’esprit public a été tué par une infinité d’actes arbitraires »[1]. Néanmoins l’opinion s’améliorait incontestablement. La mise en vigueur des lois sur la conscription qui avait naguère excité la révolte, passa cette même année inaperçue.

Jusqu’à la chute du Directoire, le gouvernement n’avait jamais pu compter en Belgique que sur l’appui d’une minorité de jacobins et d’anticléricaux. Leur petit nombre les avait

  1. Lanzac de Laborie, op. cit., t. I, p. 310.