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CARACTÈRE CENSITAIRE DU RÉGIME

obligés à se soumettre entièrement à sa direction, sinon même à se signaler par un zèle de néophytes, si bien que la grande masse de la nation les avait doublement abominés, non seulement par répulsion pour leurs idées, mais aussi parce qu’elle voyait en eux des fauteurs de l’étranger ligués avec lui contre leurs compatriotes. Il était visible cependant que, depuis la réaction de thermidor, leur influence ne se maintenait plus que pour des motifs d’opportunisme politique. La constitution de l’an III avait cherché à endiguer, si l’on peut ainsi dire, les tendances démocratiques et anti-religieuses, et le Directoire ne s’était tourné vers leurs adeptes que pour combattre en France les royalistes et en Belgique l’Église. Au fond, il les avait tolérés bien plus qu’il ne les avait soutenus, et c’en fut fait de leur crédit après le 18 brumaire.

Ce qui n’était encore qu’ébauché dans la constitution de l’an III prend forme définitive dans celle de l’an VIII. Délibérément elle divise la nation en deux groupes dont la distinction repose sur la fortune. Si elle reconnaît encore le suffrage universel, elle le réduit à la simple fonction de désigner les « notables » qui possèdent seuls le droit politique. Encore ces « notables », choisis par les électeurs des arrondissements, n’ont-ils pour fonction que de nommer d’autres notables par départements, parmi lesquels un troisième triage formera enfin la « liste de confiance nationale » comprenant de 5 à 6,000 individus pour toute la France, au sein desquels le Sénat désignera les membres du Corps législatif et du Tribunat. Ainsi la souveraineté du peuple se trouve déléguée à un groupe de censitaires. Les classes possédantes seules représentent la nation et sont associées à l’action gouvernementale. Désormais le propriétaire est le citoyen par excellence et le pouvoir nouveau qui s’institue repose sur la confiance des détenteurs de la fortune dont les intérêts se solidarisent avec les siens. En s’appuyant sur eux, il consolide définitivement le régime sorti de la Révolution, car il rassure à la fois et les anciens et les nouveaux riches. Pour les premiers, il est la garantie de ce qu’ils ont conservé, pour les seconds, la garantie de ce qu’ils ont acquis. Grâce à lui, les ci-devant nobles