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ACCEPTATION DE L’ÉTAT DES CHOSES

van der Noot sur la constitution brabançonne n’apparaissait plus que comme une dissertation archaïque ; les archives des administrations supprimées n’étaient plus que des documents d’histoire ; le passé était bien mort et l’on ne souhaitait pas qu’il ressuscitât. Car sa résurrection eût été une catastrophe aussi terrible que celle qui avait provoqué sa chute. Non seulement, elle eût amené une nouvelle perturbation politique, mais elle eût encore ébranlé l’ordre social.

Trop d’intérêts dépendaient maintenant du nouveau régime pour qu’il pût s’effondrer sans déchaîner un cataclysme. Les acheteurs de biens nationaux, dont le nombre allait croissant depuis que le pape, en signant le Concordat, avait ratifié la confiscation des biens ecclésiastiques, voyaient en lui le garant de leur fortune récente. Les préfets avaient reçu ordre de dissiper les inquiétudes suscitées par la bienveillance que le pouvoir affichait maintenant à l’égard du clergé. Faipoult annonçait solennellement que « les propriétés nationales, en passant dans la main des acquéreurs, sont devenues inviolables et que le gouvernement ne les rendra pas plus qu’il ne rendra la France à la famille des Bourbons »[1]. On pouvait donc continuer à acheter en toute sécurité, et chaque vente nouvelle gagnant à l’État un partisan, sa solidité croissait dans la même mesure où les terres d’Église venaient augmenter le capital de la bourgeoisie. La prospérité renaissante de l’industrie ne contribuait pas moins à affermir la situation. Plus les usiniers et les entrepreneurs profitaient du nouveau système douanier et de l’immense marché que la France ouvrait à leurs produits, plus ils souhaitaient le maintien d’un ordre de choses dont plus que personne ils éprouvaient les bienfaits. L’État pouvait donc compter sur l’adhésion de cette classe de nouveaux riches qui préludait sous sa protection au rôle de plus en plus considérable qu’elle allait jouer au cours du siècle. Tous étaient directement intéressés à sa conservation, qui se confondait avec la leur.

Si les nobles et les patriciens n’avaient pas les mêmes motifs

  1. Recueil des arrêtés du préfet du département de l’Escaut, p. 477.