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LE NOUVEAU RÉGIME

sur cette éternelle vaincue. Et, en dehors d’elle, vers qui se tourner ? Une restauration des Bourbons en France n’eût rien changé au sort des Belges. Sous le roi comme sous l’empereur, ils fussent demeurés Français. Les héritiers de Louis XVI n’étaient pour eux que des étrangers dont les noms mêmes leur étaient inconnus et dont la conduite n’avait certainement rien qui pût les passionner. On ne voit pas qu’ils se soient intéressés aux conspirations de Cadoudal et de Pichegru, ni que l’assassinat judiciaire du duc d’Enghien, qui souleva l’indignation de toute l’Europe, ait eu un grand retentissement parmi eux. Fallait-il attendre le salut de l’Angleterre ? Incontestablement, des ennemis de Napoléon elle était le plus terrible et le plus acharné. Mais aussi les coups qu’elle lui portait tombaient directement sur la Belgique. Elle bloquait l’Escaut, elle paralysait le commerce maritime et l’on ne pouvait songer sans angoisse qu’un débarquement de ses troupes sur la côte de Flandre replongerait le pays dans les horreurs de la guerre.

Ainsi, de quelque côté que l’on tournât les yeux, rien n’annonçait un changement probable ou souhaitable. L’incertitude de l’avenir faisait plus facilement accepter le présent. Qu’arriverait-il si le régime actuel était emporté dans une nouvelle tourmente de l’Europe ? On commençait à s’y accoutumer et, sauf un petit groupe de vieillards qui n’avaient rien oublié et rien appris, le nombre allait croissant de ceux qui envisageaient maintenant un retour à l’ancien ordre des choses, comme une nouvelle révolution. Si l’Empire disparaissait, qu’adviendrait-il des institutions qu’il avait édifiées ? Allait-on rétablir sur leurs ruines celles qu’elles avaient anéanties ? Comment concevoir encore la substitution des anciennes provinces aux départements, la restauration des privilèges, des dîmes, de l’antique organisation de la justice, des impôts, des finances avec tous ses inconvénients, toutes ses lenteurs, toutes ses iniquités même que l’on ne se dissimulait plus depuis que l’on en était affranchi ? Tout compte fait, l’administration nouvelle l’emportait sur l’ancienne et le gouvernement des préfets était incontestablement préférable à celui des États. Le mémoire de