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LA CRISE DE 1794-1798

ployés civils et militaires qui de France accourent prendre part à la curée. L’agence du commerce, instituée pour centraliser les biens et marchandises à exporter dans la République, se livre à des abus tellement scandaleux que le gouvernement, qu’elle vole sous prétexte de le servir, se voit forcé de la supprimer.

Pour comble de malheur les Anglais tiennent la mer et bloquent la côte. L’Escaut, dont l’affranchissement a été solennellement proclamé, est en fait plus étroitement fermé que jadis. La flottille de pêche qui, depuis le règne de Marie-Thérèse, s’était si rapidement développée, est capturée ou, n’osant plus se risquer au large, pourrit dans les bassins d’Ostende et de Nieuport. Tous les marchés extérieurs sont rendus inaccessibles par la guerre : on se bat sur le Rhin comme en Hollande. Impossible même de rien exporter en France, puisque le Comité de Salut Public a interdit aux Belges d’y faire le commerce. En outre, quantité d’industriels et de négociants ont émigré ; les autres, privés de matières premières, ferment leurs ateliers ou font faillite. Tous ceux qui ont pu expédier leurs capitaux au dehors n’y ont pas manqué.

Les paysans, comme il arrive toujours durant les périodes de crise, trouvent dans la vente clandestine de leurs produits une compensation aux réquisitions qui les frappent. Mais la condition des travailleurs industriels est épouvantable. Les autorités qui leur prodiguent les bonnes paroles et les encouragements, qui déclament contre les riches et affirment que la Révolution est le triomphe des classes laborieuses, sont incapables de soulager leur misère. Tout au plus peuvent-elles détourner leur mécontentement contre les « aristocrates ».

Sans argent, comment combattre le chômage général et la cherté croissante des vivres ? Les municipalités ouvrent bien çà et là quelques ateliers nationaux[1], ou font venir de Hollande à grand peine et à grand prix quelques bateaux de blé, sans pouvoir atténuer un mal qui va sans cesse en empirant. L’hiver de 1795 est pour les ouvriers un véritable

  1. Th. Gobert, Histoire des rues de Liège, t. II, p. 437.