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LA SITUATION ÉCONOMIQUE

intérêt[1]. Ce que l’on peut affirmer en tous cas, c’est, qu’à la différence de ce qui s’est passé en France, les paysans n’en ont profité que dans une très faible mesure. La cause en doit être cherchée certainement dans les scrupules religieux qui les empêchèrent de s’approprier, au début, des terres dont la confiscation leur apparaissait comme une monstrueuse impiété. L’ascendant que le clergé exerçait sur eux explique suffisamment leur abstention. Elle ne peut provenir de leur incapacité d’acheter car, dans les premiers temps au moins, les ventes se firent à vil prix et tout porte à croire que la population rurale, enrichie par la vente des denrées aux habitants des villes pendant la crise que l’on venait de traverser, possédait des épargnes assez abondantes. Si elle ne fournit que très peu d’acquéreurs, c’est donc que les considérations religieuses furent plus puissantes chez elle que l’amour du gain. La signature du Concordat contribua certainement à diminuer sa réprobation. Mais alors, il était trop tard pour pouvoir encore acquérir à des conditions avantageuses et lutter à armes égales avec la bourgeoisie.

Celle-ci même paraît ne s’être décidée qu’assez lentement, soit que la religion, la crainte de se compromettre ou le manque de ressources l’aient fait hésiter. Durant les premiers temps, on trouve surtout comme acquéreurs d’anciens moines, utilisant les bons qu’ils ont reçus du gouvernement à l’achat de terres dont ils se promettent de faire plus tard restitution à l’Église, des notaires ou des hommes d’affaires agissant comme intermédiaires pour des clients anonymes, et enfin des spéculateurs étrangers : la Compagnie Paulée, de Paris, des gens du département du Nord, des Suisses de Genève, de Berne, de Lausanne, des habitants d’Amsterdam, etc. Mais la tentation était trop grande pour ne pas triompher bientôt de la timidité

  1. Je me suis surtout basé sur l’examen des documents relatifs à la vente des biens nationaux, déposés aux Archives de l’État à Gand. Il est évident que, suivant les régions, les ventes ont dû présenter des aspects différents. Il est fort probable que ce qui se constate dans un département n’apparaît pas ailleurs de la même manière. On ne pourra rien dire de définitif et d’exact avant d’avoir institué une enquête approfondie. Je crois cependant que, dans ses conclusions générales, mon exposé ne s’écarte pas sensiblement de la réalité.