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LA VENTE DES BIENS NATIONAUX

ou des scrupules de conscience. On voyait au surplus que de riches propriétaires ne se faisaient pas faute de profiter de l’occasion et leur exemple était contagieux. On se persuadait facilement qu’il fallait surtout éviter le scandale. Plusieurs se mettaient à acheter de seconde main et réalisaient encore de beaux bénéfices. D’autres, et de plus en plus, se rendaient acquéreurs par « command ».

À partir du coup d’État de brumaire, la confiance plus grande dans la stabilité du régime, augmente la hardiesse et le nombre des amateurs. Quantité de bourgeois prennent maintenant part aux adjudications. Des industriels, Bauwens, par exemple, et Lousberg, à Gand, se font adjuger des bâtiments conventuels qu’ils transforment en ateliers. Des maîtres de forges, dans le pays de Liège, deviennent possesseurs de moulins et de cours d’eau. Par blocs ou par parcelles, la propriété monastique entre ainsi dans le capital des entrepreneurs et vient grossir l’épargne bourgeoise.

Ce sont naturellement les partisans du régime qui ont ouvert la voie et qui continueront jusqu’au bout à s’y presser les plus nombreux. Il suffit de parcourir les registres d’adjudication pour y relever les noms d’une foule de présidents et de juges de tribunaux, de juges de paix, de maires, de notaires, de membres des Conseils généraux, ou des Conseils d’arrondissement. Non seulement en ville, mais à la campagne, ils se hâtent d’afficher un loyalisme rémunérateur. Au milieu de cette cohue d’acheteurs républicains, les autres se faufilent progressivement. Des conservateurs, des ci-devant, ne résistent plus à la tentation. La noblesse même s’y laisse aller. « Quand on peut suivre la destinée de quelques familles d’acquéreurs ou les transferts successifs d’un domaine, ce n’est pas toujours des amis de la Révolution que l’on rencontre chemin faisant »[1]. À côté des aristocratiques acheteurs de parcs monastiques et

  1. J’emprunte cette phrase à G. Lefebvre, Les paysans du Nord pendant la Révolution française, p. 489. Vraie pour le Nord de la France, elle ne l’est pas moins pour la Belgique. Cf. Colenbrander, Gedenkstukken (1813-1815), t. I, p 501. En 1805 « plusieurs personnes de la plus grande distinction achètent de ces biens en seconde main ». Lanzac de Laborie, op, cit., t. II, p. 385.