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LA LIBRE CONCURRENCE

paraisse à distance, ne frappa point du tout les contemporains. À leurs yeux la question ouvrière ne se posait pas, et elle ne pouvait pas se poser. La liberté économique était un dogme : il eût paru aussi monstrueux de la violer en faveur des travailleurs qu’en faveur des capitalistes. Puisque le privilège ne barrait plus le chemin de la fortune, il semblait que la misère fût la peine de l’incapacité ou de l’inconduite. Le pauvre n’était pas intéressant ; il n’avait qu’à faire son chemin comme tout le monde. « Parvenus » pour la plupart, les fabricants justifiaient, par leur propre exemple, la doctrine qu’ils professaient avec une bonne foi dont il ne serait pas équitable de douter sous prétexte qu’elle répondait à leur intérêt. Au surplus on ne songeait qu’à produire et pour favoriser la production il fallait avant tout favoriser l’esprit d’entreprise. Le sentiment public était d’accord en ceci avec les désirs du gouvernement. Chaque époque conçoit le progrès suivant ses besoins et ce qui le facilite lui paraît juste et bon. Toutes les pensées tendaient alors à développer l’industrie, à perfectionner la technique, à susciter des innovations.

Des expositions, celle de Mons en 1806, celle de Liège en 1810, mettaient sous les yeux des fabricants les résultats obtenus par leurs confrères et servaient à la fois de réclame, d’enseignement et de moyen d’émulation. L’empereur lui-même manifestait sa sympathie aux initiatives des capitalistes. À Gand, en 1810, il daignait visiter les établissements de Liévin Bauwens. La fortune des nouveaux riches paraissait la récompense des services rendus par eux à la société et à l’État, car la renaissance économique du pays était incontestablement leur œuvre. La noblesse, les anciens propriétaires, les rentiers de vieille date n’y participèrent que très faiblement et, si l’on peut ainsi dire, d’une manière passive. Presque tous avaient des fonds à la banque de Vienne : on ne voit pas qu’ils les en aient retirés. Le capital qui fut investi dans l’industrie a pour origine, presque chaque fois qu’on en peut surprendre la naissance, soit d’heureuses spéculations, soit le génie des affaires. La grandeur des bénéfices réalisés par les entrepreneurs l’augmenta rapidement. Dès 1805, Faipoult estime que « le grand