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LA SITUATION ÉCONOMIQUE

code pénal interdit les grèves, et le tribunal correctionnel condamne les chômeurs à des peines variant de trois mois à deux ans d’emprisonnement. Pourtant, l’année suivante, les patrons réclament des « règlements sévères pour la police des ouvriers dans les fabriques »[1]. Les municipalités ne sont pas moins vigilantes. Toute tentative d’organisation parmi les travailleurs est aussitôt étouffée. En 1810, les fileurs de coton de Gand ayant sollicité du maire l’autorisation d’établir une « bourse de charité et de bienfaisance », voient rejeter leur demande parce que « l’expérience a prouvé que la bienfaisance peut n’être que le prétexte des réunions d’ouvriers de différentes fabriques, lesquelles tendent quelquefois à provoquer la cessation du travail ou une augmentation de salaire et sont conséquemment défendues par les articles 4 et 6 de la loi »[2]. Tout ce que l’on accorde, c’est qu’il puisse être institué par fabrique des bourses pour les ouvriers malades de toute espèce, à condition que les délibérations relatives à l’établissement de ces bourses aient lieu en présence du fabricant ou d’un chef d’atelier désigné par lui.

Au reste, les épisodes de ce genre sont exceptionnels. Les travailleurs sont trop dénués d’esprit de corps, trop ignorants et trop misérables pour pouvoir s’entendre sur la défense de leurs intérêts. Ils ne comprennent pas les causes de leur misère et leur mécontentement ne se traduit que par des cris, des bagarres et des attroupements. Les Conseils de prud’hommes créés en vue de « terminer par la voie de la conciliation les petits différends qui s’élèvent journellement soit entre des fabricants et des ouvriers, soit entre des chefs d’atelier et des compagnons ou apprentis », laissent aux patrons une prépondérance marquée sur les « principaux ouvriers » qui seuls ont le droit d’y siéger. Encore eurent-ils très peu de succès en Belgique où il n’en fut institué que deux, l’un à Gand (28 août 1810) et l’autre à Bruges (1er mars 1813).

La situation que l’on vient d’esquisser, si criante qu’elle

  1. Lanzac de Laborie, op. cit., t. II, p. 53.
  2. Arrêté du maire de Gand publié dans le journal La Flandre Libérale, du 19 juin 1924.