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LA FRANCISATION LINGUISTIQUE

et à celui des fabriques que les gens du peuple sussent lire et écrire ?

II

L’uniformité de l’enseignement eut pour résultat d’en faire, dans les départements réunis, un puissant instrument de francisation. Il ne pouvait être question de l’adapter aux mœurs, aux idées ou au langage de la ci-devant Belgique devenue partie intégrante de l’empire français. L’intérêt de l’État exigeait trop évidemment l’assimilation des peuples annexés pour que le gouvernement pût voir dans leurs caractères nationaux autre chose que des obstacles à abattre. Sa mission était de dresser ses nouveaux sujets et de les amener par la communauté de l’instruction et de l’éducation à être dignes de la grande nation à laquelle ils avaient désormais le bonheur d’appartenir. Il était d’ailleurs trop sûr de sa force pour redouter aucune opposition. Il lui suffit de proclamer, sous la République comme sous l’Empire, que le français était la seule langue officielle[1]. Pour les mesures d’application, il les délégua à ses fonctionnaires.

Généraliser l’usage du français dans les parties flamandes de la Belgique fut naturellement un de leurs premiers soucis. La tâche n’était pas difficile. Le français y avait fait de tels progrès au XVIIIe siècle, que Shaw, dès 1788, prévoyait la disparition prochaine de la langue nationale[2]. Bien rares étaient ceux qui, comme Verloy, comme Braeckenier, s’intéressaient encore à son sort. Et quand bien même ils eussent eu le courage d’élever la voix en sa faveur, qui les aurait écoutés ? Tout s’unissait, depuis l’annexion, pour hâter l’évolution commencée spontanément avant elle. La connaissance du français s’imposait aux rapports sociaux comme aux relations économiques. Sans la posséder, nul moyen de faire carrière. Elle était désormais un besoin primordial de l’exis-

  1. J. des Cressonnières, Essai sur la question des langues dans l’histoire de Belgique, p. 340 (Bruxelles, 1920).
  2. Histoire de Belgique, t. V, 2e édit., p. 330.