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LA SITUATION INTELLECTUELLE ET MORALE

rattache la Jerusalems herstelling, publiée en 1811 par le curé Stichelbaut, dans laquelle s’exprime, sous une forme symbolique, les souffrances d’un peuple opprimé par l’impiété et aspirant à la libération.

La centralisation administrative et la francisation du pays qui en résulta, orientèrent naturellement vers la France ou, pour mieux dire, vers Paris, toute l’activité intellectuelle de la Belgique. Il serait vain d’y chercher la moindre trace de spontanéité ou d’originalité. Elle n’est plus qu’un pâle reflet de la capitale. C’est vers elle que se tournent tous les regards et que se dirigent les jeunes gens désireux de faire carrière soit au barreau, comme de Gerlache, soit dans la littérature, comme de Stassart, soit dans les arts, comme tant d’autres. Les neuf départements réunis ne forment plus qu’une grande province soumise à l’influence et à l’attraction de Paris. Madrid, sous le régime espagnol, Vienne, sous le régime autrichien, n’avaient été que la résidence des princes et n’avaient jamais imposé aux Pays-Bas ni leurs mœurs, ni leurs idées. Bien plus, lorsque, sous Marie-Thérèse, le gouvernement avait voulu ranimer en Belgique la culture littéraire et scientifique, il avait cherché à lui fournir, par la création de l’Académie de Bruxelles, un centre autonome autour duquel elle pût se grouper. Mais l’Académie a été entraînée dans la suppression des corporations. Sa bibliothèque et ses instruments sont dispersés comme ses membres. D’ailleurs personne ne s’intéresse plus aux antiquités nationales auxquelles elle avait consacré le meilleur de ses forces. Frappées de la réprobation qui s’attache à l’Ancien Régime, elles ne paraissent plus qu’un passe-temps de réactionnaires ou tout au moins de pédants. Sauf quelques rares bibliophiles, comme van Hulthem à Gand, on laisse se dilapider le trésor des bibliothèques provenant des institutions religieuses supprimées et que le gouvernement a d’ailleurs écrémées au profit de Paris. En 1811, Liège « n’offre ni un manuscrit ni un livre à consulter »[1].

Çà et là, dans le silence du cabinet, quelque antiquaire,

  1. Th. Gobert, Liège à travers les âges, t. I, p. 276.