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LA NOUVELLE BARRIÈRE

proclamation exhortant les Brabançons à se soulever. Mais pour excédée que fût la nation de la domination française, elle ne prit aucune part à son affranchissement. Si quelques nobles avaient, à huis clos, caressé des projets d’insurrection, la masse attendait le dénouement sans y participer[1]. Ni Bruxelles ni aucune des grandes villes ne suivit l’exemple d’Amsterdam et ne trahit la moindre velléité d’insurrection. « Le peuple, disait le préfet des Deux-Nèthes, ne s’est point agité… Il n’a manifesté aucun désir d’imiter le peuple de la Hollande… Mais il n’a montré aucune intention de défendre ni même de servir d’une manière indirecte, le gouvernement actuel… Les habitants n’ont pas fait de mal aux fonctionnaires français chassés par les cosaques, mais ils ne leur ont pas offert asile non plus », et un peu plus tard il ajoute : « Il ne faut pas compter sur l’affection des habitants… Ils ne se croient pas forcés de souffrir pour une cause qui leur est étrangère. Ils ne prendront pas les armes contre nous, voilà tout ce que l’on peut attendre d’eux. »[2]

Cette apathie ne cessa pas même après l’occupation de Bruxelles. Le manifeste du duc de Saxe-Weimar annonçant le 7 février 1814 que « le despotisme a fini de régner, que l’ordre va renaître, que l’indépendance de la Belgique n’est pas douteuse », et appelant les habitants à être leurs propres libérateurs, semble avoir passé inaperçu. Peut-être la population sentait-elle confusément le vide de ces belles paroles et que son avenir ne dépendait point de sa volonté mais de celle des vainqueurs. Désorientée et soupçonneuse, elle se laissait entraîner par les événements. Aucun enthousiasme ne saluait la marche en avant des alliés. On illuminait à leur entrée dans les villes, on sonnait les cloches, on chantait des Te Deum, et on regardait avec une curiosité craintive s’écouler par les rues tant de troupes diverses, tantôt russes, tantôt prussiennes, tantôt suédoises, tantôt anglaises. Les plus

  1. Mérode-Westerloo, Souvenirs, t. I, p. 328. Cf. Lanzac de Laborie, op. cit., t. II, p. 327.
  2. P. Poullet, La Belgique et la chute de Napoléon Ier. Revue Générale, t. LXI, p. 196.