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LES BELGES ET LES ALLIÉS EN 1814

riches prodiguaient des amabilités aux officiers, la populace s’amusait de la bonhomie et de l’étrangeté des cosaques ; on arborait, faute de mieux, de vieux drapeaux autrichiens et l’on s’empressait de gratter de la façade des bâtiments publics l’aigle impériale. Puis on retournait à ses affaires et et l’on attendait[1].

« Si les Belges, écrivait dédaigneusement Hogendorp au mois de janvier 1814, avaient eu assez d’énergie pour chasser seuls les Français, ils auraient eu le droit de disposer d’eux-mêmes. Mais ils vous disent de tous côtés qu’ils veulent voir les troupes alliées, c’est-à-dire qu’ils veulent être conquis »[2]. On comprend aisément ce reproche sous la plume de l’un des instigateurs de l’insurrection hollandaise. Il n’en est pas moins complètement injuste. Comment, au milieu de leur pays occupé par les troupes françaises, les Belges eussent-ils pu tenter un soulèvement ? Pour qui surtout eussent-ils pris les armes ? Une révolution nationale ne s’improvise pas. Il faut qu’elle soit dirigée par un chef et orientée vers un but auquel aspirent unanimement les esprits et les cœurs. Les Hollandais avaient l’un et l’autre : leur chef, dans le prince d’Orange, leur but, dans la restauration de leur indépendance perdue depuis trois ans à peine.

Les Belges, au contraire, n’avaient ni l’un ni l’autre. Par delà les vingt années de l’annexion de leur pays à la France, ce qu’ils découvraient, c’était l’Autriche dont ils avaient répudié la dynastie en 1790, qui deux fois, à Campo-Formio et à Lunéville, avait cédé leur pays et qui, depuis lors, ne leur avait ni témoigné de sympathie ni donné d’encouragements. Parmi eux, sauf chez un petit groupe de grands seigneurs et d’anciens fonctionnaires, la maison de Habsbourg était aussi décriée que la maison d’Orange était populaire en Hollande. Pouvait-on s’attendre qu’ils exposassent à son profit leurs vies et leurs biens ? Tous désiraient sans doute le retour de l’autonomie.

  1. Cf. Ch. Terlinden, L’entrée des alliés à Bruxelles en 1814. Annales de la Soc. d’Archéologie de Bruxelles, t. XXVII (1913).
  2. H. T. Colenbrander, Gedenkstukken der algemeene geschiedenis van Nederland van 1795 tot 1840, 7e partie (1813-1815), p. 468.