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LA NOUVELLE BARRIÈRE

s’entretenait de nouveau de la fondation d’un royaume des Pays-Bas, dont la protection eût été confiée à la Prusse[1]. Le tsar en conférait en 1804 avec William Pitt et, en 1805, on en insérait le projet dans le traité du 11 avril entre l’Angleterre et la Russie. Il était décidé en principe que la Hollande recevrait un « arrondissement convenable » dans les Pays-Bas autrichiens. Et à la même date, l’abbé Piatoli envisageait l’érection future d’un royaume des deux Belgiques.

Une question d’ordre colonial contribuait encore à affermir dans ses vues le gouvernement de Londres qui, en guerre avec la République batave, s’était emparé successivement de toutes les colonies hollandaises et comptait fermement en conserver sa part. Dès lors, il lui était indispensable de fournir, au jour du règlement des comptes, un dédommagement à Guillaume d’Orange. Quel coup de génie que de désintéresser ce créancier en lui procurant une situation qui, tout en protégeant l’Angleterre sur le continent, la laisserait encore maîtresse d’un superbe domaine au delà des mers. Aussi, lorsque la catastrophe de Russie permit enfin d’entrevoir la chute prochaine de Napoléon, lors Castlereagh estima-t-il le moment venu de préparer une solution doublement profitable à son pays. Durant l’année 1813, il ne cesse plus d’en causer avec Guillaume. Conversation épineuse, car les appétits du prince se révèlent plus grands à mesure qu’il aperçoit plus nettement qu’on a besoin de lui, et il faut prendre garde encore, en abattant prématurément le jeu, d’exciter les susceptibilités de l’Autriche et de décevoir les convoitises de la Prusse[2]. On ne cesse donc de tracer sur la carte des frontières qui vont et viennent au gré des péripéties du marchandage. Pour l’Angleterre, il importe avant tout de couvrir Anvers et les bouches du Rhin ; pour Guillaume, de tailler le plus largement possible son futur domaine. Nul souci dans tout cela de l’intérêt ou des aspirations des peuples. Dans le silence du cabinet, la raison d’État

  1. A. Sorel, op. cit., t. VI, p. 315, 391, 416.
  2. Sur ces pourparlers, voir Colenbrander, Ontstaan, etc., p. 1 et suiv. et son introduction aux Gedenkstukken 1813-1815, où se trouve une bonne carte des différents projets ébauchés pour les frontières du royaume des Pays-Bas.