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GUILLAUME ROI DES PAYS-BAS

faisait que devancer la décision déjà prise et personne ne pouvait en prendre ombrage. Au contraire, en agissant comme il le faisait, le prince se compromettait irrémédiablement aux yeux de l’ex-empereur et en brusquant ses alliés, il affirmait du même coup l’indissolubilité de sa cause avec la leur. Certes il était bien aise aussi de profiter de la crise qui s’ouvrait, pour échapper à l’ennui de devoir longuement préparer et discuter les formalités de son couronnement. Et il y trouvait encore l’avantage de n’avoir point à recevoir à Bruxelles une couronne que Napoléon lui fournissait un excellent prétexte de ceindre à La Haye en même temps que son épée.

Un esprit aussi réfléchi que le sien ne se fit sans doute aucune illusion sur le dénouement du dernier épisode de l’épopée napoléonienne. Il ne pouvait se dissimuler que la victoire était aussi certaine que la guerre et qu’il était plus certain encore que les Pays-Bas seraient le théâtre de l’une et de l’autre. Déjà les Anglais débarquaient à Ostende et les armées prussiennes se pressaient de nouveau vers la Meuse, tandis que, derrière elles, s’ébranlaient les masses de l’Autriche et de la Russie. La catastrophe de l’empereur se ferait peut-être chèrement payer mais elle était inévitable. Et elle serait à coup sûr d’autant plus lucrative qu’elle aurait coûté davantage. Car cette fois, ce n’était plus à Napoléon seul qu’on allait s’en prendre, mais à la France elle-même dont la volte-face était un défi jeté à l’Europe. Il fallait s’attendre à ce qu’on lui imposât de fructueuses rectifications de frontières, occasion inespérée de renforcer la barrière qui, à peine établie, allait être soumise à une si rude épreuve. Le gouvernement laissait des brochures réclamer l’annexion aux Pays-Bas de toutes les forteresses françaises de première ligne entre Calais et le Rhin. Louis XVIII venait de se réfugier à Gand. On remarqua que Guillaume affecta de ne pas le voir, et cette réserve ne fut sans doute qu’un moyen d’échapper à des conversations qui eussent pu être embarrassantes.

Aucune agitation cependant ne se manifestait dans le pays. Le « vol de l’aigle » n’y avait provoqué que de l’inquiétude. Après tant de bouleversements, on était trop las pour aspirer