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CONTRASTE DES BELGES ET DES HOLLANDAIS

que la fatalité des événements avait obligé cet élève à détruire l’œuvre de son maître, que sous lui, à la Belgique catholique s’était opposée la république calviniste des Provinces-Unies, que ses descendants, les Stadhouders, après avoir soutenu contre l’Espagne une lutte victorieuse, avaient profité de leur triomphe pour fermer l’Escaut, pour transformer en barrière les provinces belges dont la faiblesse et la misère devaient assurer la grandeur et l’opulence de la Hollande, que le contraste politique et économique des deux pays s’était aggravé à mesure que l’un s’attachait davantage au calvinisme et l’autre au catholicisme, qu’avec la divergence des religions avait été de pair la divergence des idées et des mœurs, si bien qu’en passant aujourd’hui la frontière, on se trouvait dans un autre monde ? Partis du même point, les deux peuples avaient été en s’éloignant sans cesse. Il n’y avait plus entre eux rien de commun. Brusquement réunis après une si longue séparation ils se regardaient sans se reconnaître, et avec une méfiance trop compréhensible.

Odieuse aux Belges, l’union n’était pas plus sympathique aux Hollandais. Sous l’empire de leurs préjugés traditionnels, ils se demandaient si Anvers, grâce à l’ouverture de l’Escaut, n’allait pas éclipser Amsterdam, si, pour favoriser l’industrie du Sud, le gouvernement ne sacrifierait pas le commerce du Nord, si enfin, l’entrée dans l’État de plus de trois millions de Belges n’y ferait pas dominer le catholicisme sur la Réforme. Ils comparaient avec fierté leur histoire à celle de leurs nouveaux compatriotes. Ils leur reprochaient dédaigneusement de ne pas s’être soulevés en 1813. À entendre beaucoup d’entre eux, il eût semblé que les Provinces-Unies en fussent encore à cet « âge d’or » où elles figuraient parmi les grandes puissances de l’Europe.

Il est évident que si les peuples avaient été consultés, ils eussent refusé l’un et l’autre le mariage politique qu’on leur imposait[1]. Mais l’Europe, endoctrinée par l’Angleterre, était

  1. D’après Brockhausen « Il n’existe dans toute la Hollande qu’un seul individu qui désire la réunion, et cet individu, c’est le prince-souverain ». Gedenkstukken 1813-1815, p. 309.