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INTRODUCTION

explique les fluctuations à première vue si étranges de la politique du Directoire.

Les royalistes, en effet, la Terreur abattue, ont repris courage. La modération du nouveau régime, au lieu de les rallier autour du gouvernement, les excite à le renverser, si bien qu’ils le contraignent, chaque fois que le péril paraît menaçant, à se rejeter vers les jacobins, pour maintenir grâce à eux la République qu’il veut pourtant organiser contre eux. De là, au milieu de mouvements contradictoires, la continuation d’une anarchie entrecoupée de « journées » et d’insurrections que l’on ne parvient finalement à abattre qu’en faisant appel à l’armée.

Car de plus en plus l’influence de l’armée grandit dans la nation. Elle a le prestige et la force et, puisqu’elle est l’armée, elle est l’ordre. Par elle, on se sent aussi rassuré contre un retour de l’ennemi que contre un retour de la Terreur. Elle a donné à la France cette frontière du Rhin que si longtemps la monarchie a visée sans pouvoir y atteindre. Au début, dans le premier enthousiasme de la Révolution, l’Assemblée nationale s’était magnanimement proclamée la libératrice des peuples et avait répudié la conquête. Les mêmes principes humanitaires qui dictaient sa conduite au dedans devaient diriger sa politique au dehors. Mais bientôt la guerre avait mis fin à ce généreux désintéressement. Comment abandonner à eux-mêmes les pays que l’on avait affranchis ? Leur annexion s’imposait, non seulement pour s’en faire une défense, mais encore pour profiter de leurs ressources, entretenir la guerre par la guerre et sauver la République de la banqueroute. C’eût été une duperie d’assumer plus longtemps le rôle d’apôtres désintéressés et, au milieu de l’Europe hostile, de ne prétendre combattre que pour l’humanité. L’idéologie révolutionnaire, qui était encore de mode après Jemappes, cessa de l’être après Fleurus. Désormais on accepte franchement la réalité. La République n’agit plus pour le genre humain mais pour elle-même, et son intérêt est la règle de sa conduite. Elle devient franchement impérialiste dans le même temps où elle renonce à son idéal humanitaire.

Ainsi la Révolution a rompu tout à la fois et avec la démo-